No 183, juillet-août-septembre 2022

Actualité

Horaires et ponctualité : les prérequis de l’Etat moderne

illustration thèse

© Collection de la Ville d’Amboise/Musée de La Poste – La Poste, 2022

Si les horaires et la ponctualité font partie intégrante de nos sociétés, il n’en a pas toujours été ainsi. C’est ce que démontre Catherine Herr-Laporte, doctorante à la Chaire d’histoire des techniques, qui s’est penchée sur le développement des transports postaux en France durant tout le 18e siècle dans le cadre de sa thèse de doctorat consacrée au temps et à la mobilité. Dans son travail, on découvre pourquoi la vitesse est devenue un enjeu au niveau social, politique et économique. Et comment la coordination temporelle a participé à l’émergence d’une nouvelle conscience du temps, celle-là même qui a posé les bases de l’Etat moderne.

Longtemps, l’apparition du chemin de fer au 19e siècle a été perçue comme une révolution dans le domaine des transports. Pourtant, rappelle d’emblée Catherine Herr-Laporte, la vitesse constituait déjà un enjeu au 18e siècle. «L’adage de Benjamin Franklin, "Le temps, c’est de l’argent", était aussi vrai à l’époque qu’aujourd’hui, relève-t-elle. Ce sont les mêmes raisons politiques et économiques qui se cachaient derrière ce désir de célérité.»

Si elle s’intéresse d’abord aux progrès techniques, aussi bien au niveau des infrastructures routières, des véhicules que de l’horlogerie, elle réalise progressivement, lors de ses recherches, «que ce ne sont pas ces innovations qui ont permis de gagner du temps, mais bien le système organisationnel et la coordination temporelle». En effet, pour atteindre cette finalité de vitesse, l’activité de l’administration postale est marquée au cours du 18e siècle par de multiples tentatives d’organiser et de coordonner ses services. Les déplacements sont ainsi mesurés en heures et non plus en kilomètres. «Les transports terrestres sont l’un des domaines où l’on voit lentement émerger une nouvelle conception du temps : il n’est plus seulement une durée, il devient un horaire, soit un temps mesuré, de plus en plus précis. Et les horaires, avec leurs échéances et leurs normes, ne vont fonctionner que si tout le monde les respecte : c’est l’émergence de la ponctualité.»

Une ponctualité qui va avoir toute son importance, puisqu’elle devient un prérequis essentiel pour le bon fonctionnement de l’Etat moderne. Les retards eux vont avoir un impact direct au niveau économique, mais aussi dans la gestion politique et administrative du pays. «Le respect des horaires et la crainte du retard montrent l’intériorisation du temps par les différents acteurs, signe de l’émergence d’une nouvelle conscience du temps.»

Afin de mener à bien ses recherches, Catherine Herr-Laporte s’est intéressée à l’administration postale française. «Le pays se prêtait particulièrement bien au développement de ce sujet, car l’administration postale y était déjà centralisée au 18e siècle. La recherche de solutions pour accélérer les transports était donc pensée à l'échelle de tout le pays, ce qui a facilité l'étude de ces mécanismes.» Afin d’étayer ses recherches, l’historienne a élargi son terrain d’étude à certains cantons suisses, avec qui la France échangeait régulièrement, ainsi qu’à l’Angleterre, qui disposait d’une institution postale au fonctionnement proche du système français. «Les similitudes et les différences m’ont permis de mieux comprendre les logiques à l’œuvre sur le territoire français.»

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