No 181, janvier-février-mars 2022

Actualité

Les émotions des chimpanzés captées par une caméra thermique

Singe


Référence scientifique :

de Vevey, M., Bouchard, A., Soldati, A. et al. Thermal imaging reveals audience-dependent effects during cooperation and competition in wild chimpanzees. Sci Rep 12, 2972 (2022).
https://doi.org/10.1038/s41598-022-07003-

Une étude menée par l’Université de Neuchâtel a permis de déterminer, grâce à des images thermiques, l’état de stress ou de quiétude de chimpanzés s’adonnant à des interactions qui impliquent de la compétition entre individus ou, au contraire, sont apaisantes. Les résultats viennent d’être publiés cette semaine dans la revue Scientific Reports.

Entreprise dans la forêt ougandaise entre 2019 et 2021, l’étude a été menée par Marion de Vevey, primatologue au Laboratoire de cognition comparée de l’Université de Neuchâtel, devenue aujourd’hui journaliste scientifique. Elle a consisté à filmer des chimpanzés sauvages en interaction avec leurs congénères. Au moyen d’une caméra thermique, Marion de Vevey et ses collègues ont mesuré la température du nez des chimpanzés pour en déduire leur état émotionnel.

La chercheuse résume le principe de cette approche au cœur de son travail de master en sciences cognitives. «Lorsqu'une situation stresse un chimpanzé, son sang irriguera ses parties corporelles les plus utiles pour fuir ou combattre la source de ce stress. Ainsi, le sang ira prioritairement vers le cœur et les muscles et moins en direction des extrémités du corps. En conséquence, la température du nez sera plus basse lors d'une situation plus stressante que réconfortante. Cela permet ainsi de mesurer indirectement l'état émotionnel du chimpanzé simplement en relevant les températures de son visage, une méthode qui est non invasive et qui peut donc être utilisée sur des animaux à l’état sauvage.»

L’équipe de scientifiques a collecté plus de 4000 images de neuf chimpanzés mâles de la forêt Budongo en Ouganda. Le choix d’étudier des mâles tient au fait qu’ils participent davantage à des interactions sociales que les femelles, ce qui met en lumière plus de dynamiques intéressantes.

Six activités étaient clairement associées à un effet apaisant : toiletter un congénère, recevoir un toilettage, pratiquer un toilettage mutuel, jouer, patrouiller en groupe en dehors de son territoire et examiner les parties génitales des femelles. Il apparaît également que les mâles de haut rang bénéficient davantage de l’effet réconfortant de ces événements, mais la présence du mâle alpha dans les 35 mètres le diminue.

«Nous avons pu observer que le toilettage est une situation jugée réconfortante par les chimpanzés, leur nez montrant une température plus haute que dans une situation non émotionnelle», indique Marion de Vevey. Une exception déroge cependant à la règle : lorsque les primates toilettent le mâle alpha et que celui-ci ne répond pas réciproquement à ce geste. La situation du groupe est alors ressentie davantage stressante que réconfortante, et la température de leur nez s’abaisse.

Six autres situations, caractérisées par un esprit de compétition, se traduisaient par une basse température du nez. Il s’agit de l’arrivée d’un mâle dominant, d’une démonstration de force de la part d’un autre mâle, d’actes de copulation, d’entente de cris, d’agression ou de repas en groupe. Ces situations compétitives montrent un certain degré de stress chez les sujets, mais ce stress est atténué en présence de femelles dans les environs, qui ont un effet apaisant sur les mâles.

Autre effet mesuré : lors d’un acte de copulation, les mâles qui se trouvent seuls avec leur partenaire sont plus stressés que lorsqu’il y a d’autres individus dans les environs. Cela est sûrement dû à l’aspect dangereux d’un acte caché qui pourrait donner lieu à de la violence de la part des autres mâles.

Cette recherche a permis de mettre en lumière non seulement une adaptation physiologique des chimpanzés à une vie autant coopérative que compétitive, mais aussi de déceler des effets sociaux qui affectent ces états internes. Ceci donne un meilleur aperçu de la manière dont les chimpanzés fonctionnent cognitivement et socialement.



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