Le lien entre sympathie et responsabilité morale est un thème cher à la philosophe Cécile Rosat, titulaire d’un master de l’UniNE et actuellement doctorante en philosophie appliquée à l’ETHZ. Elle l’a présenté lors du 39e congrès des philosophes de langue française qui s’est tenu du 22 au 26 août à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds. L’événement a rassemblé une centaine de spécialistes.
C’est par une saynète purement fictive que Cécile Rosat pose le départ de sa réflexion. «Imaginons que je surprenne Sam à tirer un coup de feu sur Olga. A priori, je m’indigne moralement de ce geste, et, par cette attitude en réaction à son action, le tiens pour responsable. Supposons maintenant que l’arme est en fait celle d’Olga qui aurait agressé en premier lieu Sam. Lui n’aurait fait que se défendre. Considérant la situation de son point de vue ou d’un point de vue informé, est-il toujours moralement responsable? Plus généralement, est-ce que la sympathie, en tant que capacité à se mettre à la place d’autrui, joue un rôle dans nos pratiques morales d’attribution de la responsabilité morale?»
La sympathie doit être comprise ici dans sa signification du siècle des Lumières : dans notre vocabulaire contemporain, elle correspondrait plutôt à de l’empathie. Et c’est à dessein : en effet, ce questionnement tire son origine des écrits d’Adam Smith, philosophe écossais du 18e siècle, sur le lien entre sympathie et responsabilité morale, écrits que la chercheuse a découverts au début de ses études à l’UniNE.
Excuses et justification
Cécile Rosat propose d’étudier ce lien en s’intéressant plus particulièrement au rôle de la sympathie dans les cas d’excuses, d’exemptions et de justifications. La sympathie peut être vue comme une compétence à attribuer une responsabilité à un acte donné. En sont alors logiquement exemptés tous les individus qui manqueraient d’agilité à se projeter à la place de quelqu’un d’autre. «On peut penser ici aux enfants, aux dément-e-s et aux psychopathes. La conséquence de cette inaptitude au changement perspectival est une incapacité à se tenir soi-même pour responsable.»
«Dans le cas de Sam et Olga, poursuit la philosophe, le mouvement projectif que constitue la sympathie permet de disculper Sam en excusant sa conduite, puisqu’elle ne manifeste pas de mauvaise volonté. Dans le même temps, il permet aussi de justifier l’acte de Sam : tuer Olga n’est pas mauvais puisqu’elle était une sadique criminelle.»
Si le rôle de la sympathie est invoqué surtout dans le cas des exemptions, les cas des excuses et des justifications montrent que cette agilité perspectivale est aussi importante du côté de celle ou de celui qui attribue la responsabilité. «Certes, convient Cécile Rosat, il est important que, pour prendre la responsabilité de ses actes, la personne fautive soit en mesure de se mettre à la place de celle lésée. Mais le changement de perspective est aussi important du côté de cette dernière. Tenir quelqu'un pour responsable requiert de comprendre qui est cet autre, et cet effort de reconnaissance, qui consiste à me mettre à sa place et adopter son point de vue, permet d'ajuster notre communication au récepteur du message de façon à ce que celui-ci soit compris et effectif.»
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