Décorner préventivement les rhinocéros noirs, une espèce menacée d’extinction, pour les préserver du braconnage. Une doctorante en biologie de l’Université de Neuchâtel (UniNE) a étudié l’impact de cette mesure sur le comportement des animaux dans dix réserves naturelles d’Afrique du Sud. Vanessa Duthé livre son analyse dans la revue scientifique de référence PNAS, dans le cadre du Black Rhino Conservation Project dont elle est l’initiatrice.
Le rhinocéros noir est un grand mammifère, classé en « danger critique d’extinction » par l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature). Il ne reste que 5'500 individus dans le monde qui vivent plutôt cachés. Première cause de mortalité : le braconnage pour ses cornes, qui se vendent au marché noir plus cher que l’or.
Pour y faire face, les responsables de certaines réserves naturelles ont opté pour décorner préventivement les animaux, une opération pratiquée ici dans des conditions respectueuses de l’animal (voir encadré). Mais avec quelles conséquences ? Répondre à cette question est l’un des objectifs d’une équipe composée de chercheuses et chercheurs en écologie et conservation et de praticiens.
« Le décornage n’augmente pas la mortalité naturelle et n’affecte pas la capacité de survie de l’animal », note d’emblée Vanessa Duthé, doctorante au laboratoire d’écologie fonctionnelle de l’UniNE. Cependant, l’absence de cornes entraîne une réduction des territoires de 45,5 % en moyenne. A première vue, ce constat implique un changement dans l’utilisation spatiale des ressources ainsi que dans la structuration de la dominance et il sera aussi sans doute plus difficile de sélectionner les individus à déplacer pour optimiser la gestion de métapopulations.
« D’un autre côté, relève la chercheuse, de plus petits territoires engendreront peut-être moins de combats entre mâles parfois mortels, puisque nous avons constaté que les rhinocéros décornés sont en moyenne 37 % moins susceptibles de s'engager dans des interactions sociales que les individus dotés de cornes. »
Ces résultats se basent sur les observations de 368 individus issus de différentes populations en Afrique du Sud, et menées durant 15 ans. « Il s’agit d’une collaboration entre 10 réserves différentes. Des managers, des écologues et des responsables de monitoring figurent parmi les co-auteurs de l’étude, poursuit l’initiatrice du projet. Nous avons ainsi rassemblé des données uniques et très rares qui ont permis de déceler un comportement particulier en réponse au décornage. »
Vanessa Duthé et ses collègues ne peuvent toutefois pas encore dire si le décornage est réellement positif ou négatif, car le long cycle de vie de l’animal (de 30 à 50 ans) exige de prendre en compte des données à plus long terme pour conclure sur les effets sur la reproduction et la génétique. Une autre étude menée en Namibie a toutefois démontré que le décornage n’impactait pas le taux de reproduction, ce qui laisse plutôt présager, conjointement avec d’autres mesures, un effet global qui va dans le sens d’une amélioration de la préservation du rhinocéros noir.
Décorner, qu’est-ce que c’est ?
Le décornage n’est pas une opération douloureuse. Les rhinocéros sont placés sous sédatifs et équipés d’un bandeau pour les yeux et de bouchons pour les oreilles de manière à limiter leur stress sensoriel. La partie innervée de la corne est alors coupée, répertoriée et stockée en un endroit sûr. L’intervention est pratiquée par une équipe composée de vétérinaires et de spécialistes rodés. Les cornes sont composées de kératine et repoussent, tout comme les ongles. « Si nous en sommes arrivés là, c’est en raison de l’urgence de la situation » prévient Vanessa Duthé. Car malgré une certaine baisse, le braconnage demeure toujours très intensif. Face à la perte quotidienne de rhinocéros, beaucoup de gestionnaires de réserves décident de décorner pour dissuader les braconniers, afin de protéger les rhinocéros noirs d’une mort terrible.
En savoir plus :
Le site web du projet
Interview en vidéo de Vanessa Duthé pour le Dies Academicus 2020