Les technologies destinées spécifiquement à suivre la santé des femmes – les FemTech – ont le vent en poupe. Dylan Hofmann, doctorant FNS en droit de la santé, s’interroge sur le traitement des données intimes collectées par les utilisatrices qui informent sur leur fertilité, sur leur contraception ou sur le suivi d’une grossesse. Il en a débattu le 9 février lors du colloque «In-corpore: ce que le droit fait à nos corps» qui s'est tenu à l’Université de Neuchâtel.
La santé des femmes a longtemps souffert d’un retard de connaissances en raison d’une médecine qui fut historiquement pratiquée avant tout par des hommes et pour des hommes, avec comme norme le corps masculin. Cette conception a conduit à un manque de considération dans la prise en charge médicale et dans la prévention des maladies qui touchent les femmes.
Les entreprises spécialisées dans les FemTech et certaines mouvances féministes voient dans ces technologies la perspective de changer la norme et de la mettre au féminin. Ainsi sont apparus l’application mobile Clue qui sert au suivi des menstruations, le bracelet de fertilité AVA ou encore le moniteur d’allaitement Coroflo. Les FemTech promettent aux femmes une meilleure quantification de leur fertilité, un meilleur contrôle contraceptif ou une meilleure approche de leur grossesse au moyen d’une collecte de données quotidienne.
Si ces outils vont dans le sens d’une amélioration de l’autodétermination des utilisatrices vis-à-vis de leur santé, Dylan Hofmann y voit néanmoins deux problématiques majeures : le manque d’inclusivité d’une part et une évolution dystopique à des fins de surveillance sur les droits reproductifs des femmes d’autre part. Pour le premier point, la programmation et les recommandations étant essentiellement hétéronormées, le chercheur estime qu’elles font passer sous le radar tout autre type de relations intimes que peuvent avoir des femmes. «Le changement doit venir des entreprises elles-mêmes. En effet, une prise de conscience doit se faire pour corriger le biais de base de leurs algorithmes», commente Dylan Hofmann.
Quant à l’évolution dystopique de la FemTech, le doctorant en droit l’illustre par le risque que des autorités pénales saisissent les données collectées. En matière d’avortement, cela pourrait s’avérer délicat, puisque ces instruments fournissent un historique complet et précis de l'état de la grossesse et de son interruption. Ils permettent également la géolocalisation des utilisatrices, ce qui pourrait servir de preuve d’un éventuel tourisme médical.
De telles dérives sont actuellement discernables aux Etats-Unis, qui ont récemment restreint l’accès à l’avortement. Une autre évolution dystopique se constate dans le domaine de l’assurance-maladie complémentaire en matière de fertilité « désir d’enfant » de Sanitas, qui lie bracelet de fertilité, collecte de données de santé et assurance pour des traitements non pris en charge par l’assurance obligatoire des soins. «Or, l’Etat doit garantir et réaliser les droits reproductifs qui sont des droits fondamentaux, relève Dylan Hofmann. L’Etat manque à ses devoirs en matière d’accessibilité et les acteurs privés de la FemTech ont transformé ce manquement en opportunité marketing.»
Le chercheur propose des pistes pour mieux encadrer cette tendance : renforcer le principe de finalité en matière de protection des données pour éviter que les informations personnelles ne circulent entre les entreprises de la FemTech et une autorité pénale ou une assurance-maladie complémentaire ; décriminaliser l’avortement ; améliorer l’accès aux soins de fertilité et à la contraception, avec prise en charge par l’assurance de base ou leur gratuité, et le développement de bonnes pratiques au sein des entreprises de la FemTech.