No 185, décembre 2022

Actualité

Monkey business : les singes aiment les paris

Singes

Référence de l’article scientifique
Rationality and cognitive bias in captive gorillas' and orang-utans' economic decision-making, P. Lacombe, S. Brocard, K. Zuberbühler, C.D. Dahl 2022 DOI : 10.1371/journal.pone.0278150

Plutôt que de se contenter d’une friandise qu’ils sont sûrs de recevoir, les orangs-outans et les gorilles préfèrent parier sur une plus grosse récompense, même s’ils n’ont pas la certitude de l’obtenir. C’est le résultat principal d’une étude éthologique menée au zoo de Bâle par une équipe du Laboratoire de cognition comparée de l’Université de Neuchâtel. Ses travaux viennent d’être publiés dans la revue scientifique PLOS One.

Ce goût du risque chez les singes a été mis en évidence en observant des pensionnaires du zoo de Bâle, institution qui, grâce à un partenariat avec l’UniNE, a permis l’émergence d’un Centre de recherche sur les primates dans le cadre duquel s’est déroulé ce travail. L’objectif était de voir dans quelle mesure le goût du risque et des paris a des bases purement culturelles ou si ce penchant a été acquis dans le processus d’évolution des espèces.

Le protocole pour tester cette envie de parier fait penser aux tours de magie où on dissimule un objet sous un gobelet renversé que l’on place à côté d’autres récipients semblables, mais vides dessous. Les gobelets renversés sont rapidement mélangés et il faut deviner sous lequel se cache l’objet initialement dissimulé.

La différence avec le tour de magie traditionnel, c’est qu’un gobelet de couleur jaune contenait à coup sûr une petite récompense, tandis qu'un autre gobelet de couleur rose pouvait cacher aléatoirement une gratification, mais plus importante. Un singe prêt à parier pouvait donc choisir le gobelet rose, autrement dit l'option «risquée», tandis qu'un singe préférant une option «sûre» pouvait préférer le gobelet jaune.

«Nous avons montré que les orangs-outans et les gorilles sont capables de percevoir des variations de quantité de récompense ainsi que des variations de probabilité de gain, et de faire des choix rationnels basés sur ces variations. Ils vont par exemple préférentiellement parier et choisir "l'option risquée" s’ils savent qu'ils ont plus de chance de gagner, ou s’ils peuvent gagner une plus grande récompense», explique Pénélope Lacombe, doctorante à l’UniNE et première auteure de l’étude.

Dans un deuxième temps, les primatologues ont réussi à moduler la perception par les singes des quantités de récompense ou des probabilités en changeant la manière dont on leur propose de faire un pari. Ici, le gobelet «risqué» rose est remplacé par un ensemble de gobelets orange, les chercheuses cachant la grosse récompense sous un seul de ces gobelets. La probabilité de gagner en préférant un gobelet orange est identique à la probabilité de gagner précédemment en choisissant le récipient rose. C’est donc la différence de configuration qui amenait les singes à adopter des stratégies de paris différentes. Dans l’une des expériences, les scientifiques ont comptabilisé jusqu’à 78% de préférence pour des options «risquées» par rapport à l’ensemble des choix effectués.

«Nos résultats montrent que même si les gorilles et les orangs-outans se basent sur des indices rationnels pour décider de parier ou non (par exemple, en évaluant la probabilité de gagner ainsi que la quantité de récompense qu'ils peuvent gagner), ils sont sujets à des biais cognitifs basés sur le contexte (la manipulation citée plus haut) qui affectent leur choix», conclut l’article.


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