Bio expressProfesseur ordinaire en finance à l’Université de Neuchâtel, Tim A. Kroencke a suivi ses études dans les universités de Freiburg im Breisgau (sa ville d’origine) et de Bâle. Il a obtenu un doctorat en finance à l’Université de Mannheim, en Allemagne. Avant de rejoindre l’UniNE, il a été assistant à l’Université de Bâle, et a travaillé pour le
Centre for European Economic Research (ZEW) à Mannheim ainsi que pour la banque suédoise
Skandinaviska Enskilda Banken (SEB).
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«Les marchés financiers et les coronavirus», c’est le titre de la leçon inaugurale que Tim A. Kroencke, professeur ordinaire en finance, a donnée mercredi 28 avril. Entretien.
Les «data» le mettent en joie! Ces innombrables données qui lui permettent, dans le cadre de ses recherches, de démontrer en quoi la bourse en général n’est pas un jeu tout à fait comme un autre, et de comprendre comment la bourse s’est comportée pendant cette longue année de pandémie de Covid19.
«Les marchés financiers et les coronavirus», c’est le titre de votre leçon inaugurale. Quels en sont les grands axes?
Nous examinerons le comportement global du marché et certains secteurs plus spécifiques, mais intéressants, du marché en 2020. Dans la finance, on débat depuis longtemps de la question de savoir si les mouvements boursiers sont rationnels ou plutôt irrationnels. Le choc considérable qui a récemment frappé les marchés me permet d'illustrer la logique de ces différentes théories. Nous verrons que de nombreux mouvements de marché sont plausibles, compréhensibles, avec le recul, mais que certains schémas sont difficiles à rationaliser.
A son début, la pandémie de Covid19 a fait craindre un krach boursier. Il n’en a rien été. Avez-vous été surpris du comportement des bourses depuis le début 2020 ?
Pour commencer, le marché s'est effondré d'environ 30%, l'un des krachs de cette ampleur les plus rapides de l'histoire. Ce qui a été surprenant, c'est la reprise tout aussi rapide du marché boursier. Cependant, la reprise a été inégale et n'est certainement pas représentative de l'économie globale.
Dans la présentation de votre leçon inaugurale, vous évoquez l’hypothèse d’un «marché efficace». L’absence d’effondrement en 2020 confirme-t-elle cette hypothèse?
L'efficacité du marché est un scénario idéalisé dans lequel les nouvelles informations sont rapidement incorporées dans les prix, de sorte qu'il est difficile de gagner de l'argent au détriment des participants non informés. L'observation de mouvements importants en réponse à de grandes nouvelles est une caractéristique nécessaire d'un marché efficient. Si le marché, dans son ensemble, semble avoir bien suivi le flux d'informations au cours du développement de la pandémie, je vais montrer que cela n’a pas été le cas pour certaines actions spécifiques.
Y a-t-il un lien entre la hausse vertigineuse du bitcoin et le coronavirus? Par rapport aux monnaies virtuelles notamment, doit-on craindre le phénomène des bulles spéculatives susceptibles d’éclater soudainement?
Je pense qu'il s'agit d'un phénomène sans rapport. Cela me rappelle beaucoup les engouements précédents, par exemple les tulipes néerlandaises ou la «dot-com mania» des années 90. Les explications que les gens utilisent pour justifier les prix élevés et l'investissement dans les cryptomonnaies sont étonnamment similaires.
Si l'histoire se répète, les investisseurs précoces en profiteront, tandis que les investisseurs tardifs en souffriront. Mais tant que les gens ne commencent pas à emprunter de l'argent pour acheter des cryptos, je ne m'inquiète pas des effets d'un krach des cryptos sur l'ensemble de l'économie.
Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans vos recherches et dans l’enseignement qui y est lié?
C’est la masse de données que l’on peut analyser, et cela sur une très longue période. Les statistiques boursières permettent de remonter jusqu’à 1926! Plus d’un siècle de données à analyser, là, sur votre ordinateur! C’est une approche très empirique, que j’apprécie beaucoup. On parcourt différents pays, à différentes époques, des périodes positives, des périodes de crise financière. Avec mes étudiantes et mes étudiants, nous avons aussi regardé par exemple la période sombre de la fin des années 1920. Du point de vue de la recherche, cela apporte énormément d’éléments historiques très intéressants.
Enfant, quelle profession rêviez-vous d’exercer?
Je me voyais architecte. Mais voilà, finalement, je suis dans la finance! En fait après l’école et le lycée, je n’ai pas eu envie d’aller à l’université, je voulais passer à des choses pratiques. J’ai donc travaillé dans une banque, et c’est suite à ce passage sur le terrain financier que j’ai décidé de revenir à des études, pour approfondir mes connaissances dans ce secteur.
Un livre qui a participé à vous construire?
Il y a des livres extraordinaires, bien sûr, mais j’ai plutôt envie de citer un film: «Gattaca» (réalisé par Andrew Niccol et sorti en 1997, NDLR). C’est un film de science-fiction, avec une vision très sombre de l’avenir. La plupart des enfants y sont «améliorés» par des spécialistes de l’ADN, qui visent à créer des êtres super sains, super forts… Le héros, lui, est un enfant «naturel» qui rêve de devenir astronaute. Il a un frère qui, lui, a été «amélioré», et leur relation, ainsi que leurs différences, sont centrales dans la narration. Sans entrer dans les détails, c’est une fiction qui met en avant l’idée de ne jamais renoncer, de ne jamais abandonner, et dont la phrase-clé est de ne pas «faire de réserves pour le retour», de ne jamais économiser ses forces, mais de compter sur sa propre volonté.
Quelle est la musique qui vous accompagne en général?
La musique pop. J’aime bien travailler en écoutant de la musique chillout lounge… Je ne suis pas particulièrement orienté musique, en fait. The data are my music! (Rires)
Le souvenir d’un moment particulièrement fort pour vous dans le cadre universitaire – en tant que professeur ou étudiant?
En tant que professeur, je crois que le meilleur moment est lorsque les étudiantes et les étudiants passent leur diplôme, que vous parlez ensemble de leur avenir, et qu’on les sent apprécier d’arriver au terme de quelque chose qui a été difficile, mais qui a été mené à bien, et qu’ils se sentent prêts pour la suite.
Il arrive aussi que, une fois sortis de l’université, ils repassent ici pour discuter un peu. C’est toujours un moment très fort de voir comment ces jeunes gens se développent hors de l’université. Parce que, pendant les cours, ils doivent faire des exercices, ils sont fatigués, ils sont stressés à l’idée de l’avenir… Lorsqu’on les rencontre après leurs études, c’est très différent. Et on a alors le sentiment d’avoir été utile.