Avec plus d’un milliard d’utilisatrices et utilisateurs à travers le monde, le réseau social Instagram contribue à alimenter le culte de soi. Cette propension à vendre du rêve n’est pas sans poser problème: les jeunes, principaux concernés, se retrouvent dans une course à la perfection qui peut avoir un impact négatif sur leur propre estime. Si les effets sont critiqués, les normes de présentation de soi sur Instagram n’ont encore jamais été analysées: Quelles sont-elles ? Y a-t-il des limites à ne pas franchir ? Et dans l’affirmative, quelles sont les sanctions lorsque ces limites sont dépassées ? Telles sont quelques-unes des questions abordées par Théo Iliani, dans le cadre de son récent mémoire de Master en sociologie.
Afin de comprendre les mécanismes de présentation de soi en ligne et de leurs effets, Théo Iliani s’est basé sur la métaphore théâtrale, utilisée par le sociologue américain Erving Goffman pour décrire les interactions sociales. «Lors d’une représentation, le public a des attentes auxquelles l’acteur doit se conformer. Ce dernier va, dans ces circonstances, accentuer les normes et valeurs sociales reconnues plus qu’il ne le ferait en étant seul, afin de correspondre à l’image qu’il essaie de renvoyer, soit à son rôle», explique l’étudiant en sociologie.
Fort de ce cadre théorique, Théo Iliani a interviewé une vingtaine de personnes habitant en Suisse romande. Il ressort de son enquête qualitative que les normes de présentation varient énormément d’une personne à l’autre : «La plupart des personnes interrogées avaient entre 24 et 27 ans au moment de l’enquête, tient-il à préciser. Le fait d’être un peu plus âgées que le public usuel – 14 à 18 ans – leur a permis d’avoir un peu plus de recul quant à l’usage des réseaux sociaux et d’être moins affectées par le système de validation (likes) des réseaux sociaux.»
De manière générale, se présenter de manière positive reste la norme. En effet, l’enquête montre que les utilisatrices et utilisateurs évitent de se montrer sous un jour vulnérable ou d’exposer des aspects négatifs de leur vie. Les publications négatives sont toutefois tolérées dès le moment où il est fait usage d’humour ou lorsqu’il s’agit de défendre une cause plus large (lutter contre une maladie).
Il est également important de ne pas étaler ses possessions matérielles (consommation ostentatoire flagrante) ainsi que de ne pas publier immodérément des selfies (qui renvoient à une image narcissique de la personne). Comme le relève Théo Iliani, tout le défi consiste à s’exposer sans pour autant «donner l’impression d’une recherche délibérée d’attention» connotée, paradoxalement, négativement.
Parmi les autres règles à respecter, l’enquête démontre que si des modifications légères des photos sont tolérées, principalement de l’arrière-plan, celles de l’utilisatrice ou de l’utilisateur sont mal vues, car impliquant un décalage trop important avec la réalité. Il en va de même pour les publications qui ne se basent pas sur des expériences réellement vécues.
«Lorsque ces normes de présentation de soi sont enfreintes, les utilisatrices et utilisateurs ne confronteront pas la personne directement, à moins de la connaître personnellement, se contentant généralement de se désabonner de sa page. Pour les personnes qu’elles connaissent, elles utiliseront l’humour comme un moyen détourné d’en parler avec elles.»
Finalement, il est intéressant de noter que le fait de connaître la personne qui publie influencera radicalement l’opinion que les internautes auront sur la publication: elles et ils seront plus tolérant-e-s pour leurs ami-e-s tandis que les inconnu-e-s seront jugé-e-s plus durement.
En savoir plus :
Théo Iliani, Se montrer sans s’afficher: Normes et effets de la présentation de soi sur Instagram, Mémoire de Master en sciences sociales – pilier sociologie, Université de Neuchâtel, janvier 2020.