No 164, février 2020

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«The data are my music !»

Rencontre avec Tim A. Kroencke, professeur en finance


Tim A. Kroencke
Bio Express

Professeur ordinaire en finance à l’Université de Neuchâtel, Tim A. Kroencke a suivi ses études dans les universités de Freiburg im Breisgau (sa ville d’origine) et de Bâle. Il a obtenu un doctorat en finance à l’Université de Mannheim, en Allemagne. Avant de rejoindre l’UniNE, il a été assistant à l’Université de Bâle, et a travaillé pour le Centre for European Economic Research (ZEW) à Mannheim ainsi que pour la banque suédoise Skandinaviska Enskilda Banken (SEB).

Infos pratiques
Leçon inaugurale mercredi 18 mars à 18h15, Aula du 1er-Mars 26, accès libre.

Domaines de spécialisation
Empirical Asset Pricing
International Finance (Finance internationale)

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«Le marché boursier est-il un jeu équitable?», c’est la question que posera Tim A. Kroencke, professeur ordinaire en finance, dans le cadre de sa leçon inaugurale, mercredi 18 mars à 18h15, aula du 1er-Mars 26. Entretien.

Les «data» le mettent en joie! Ces innombrables données qui lui permettent, dans le cadre de ses recherches, de démontrer en quoi la bourse n’est pas un jeu tout à fait comme un autre…

«Le marché boursier est-il un jeu équitable?», un «fair game», c’est le titre de votre leçon inaugurale. Dans quel sens employez-vous le mot «équitable»?
Pour la plupart des gens qui jouent à un jeu, l’idée est que le jeu est équitable s’il est «symétrique». C’est-à-dire qu’il y a de faibles probabilités de beaucoup gagner, de faibles probabilités de beaucoup perdre, et que la plupart du temps, on se trouve quelque part entre ces deux possibilités. Un autre élément pour qu’il s’agisse d’un vrai jeu est que l’issue ne peut pas être pas prédictible. En effet, si l’on jette des dés et que l’on obtient deux six, on ne peut pas prédire pour autant que l’on aura à nouveau deux six au lancer suivant! Les gens qui abordent la bourse pour la première fois ont un peu une approche similaire, l’idée que cela doit être symétrique et que c’est relativement imprévisible. Mais ce n’est pas ce que disent les statistiques.

Mais les gens placent leur argent en espérant avoir un retour… et en sachant très bien qu’il y a, en la matière, les pros et les autres. Pensez-vous vraiment qu’on puisse croire qu’il s’agit d’un jeu équitable et imprévisible?
Personnellement, je me limite à questionner les «data», les données, et à faire des statistiques. Mais vous avez raison, votre question anticipe la réponse: ce n’est pas symétrique et il y a une part de prévisibilité. C’est ce que je compte illustrer au cours de cette leçon inaugurale. Premier cas: que se passe-t-il si vous placez tout votre argent dans une seule entreprise, en espérant gagner de l’argent? Et bien si l’entreprise est choisie totalement au hasard, vous avez statistiquement toutes les chances de ne rien gagner, voire d’y perdre.

Vous dites même que la plupart des entreprises ne permettent pas de gagner davantage qu’à travers un compte épargne.
Oui, c’est le cas. Si vous regardez les statistiques, vous constaterez qu’il n’y a en fait que très peu d’entreprises qui vont susciter des chiffres positifs. Il est donc important d’investir dans de nombreuses sociétés, car si vous ratez les quelques-unes qui fonctionnent bien, il y a beaucoup de chances que vous perdiez. La diversification d’un portefeuille est essentielle. Bien sûr, vous pouvez faire des prévisions. Parier que telle entreprise va formidablement progresser et n’investir que sur elle. Si vous avez raison, vous pourrez faire de gros gains. Si vous avez tort… ce sera terrible!

Si le danger est tel, pourquoi tant de gens investissent-ils dans des actions?
Parce que sur un portefeuille diversifié, le retour est relativement symétrique… comme dans le cadre d’un jeu équitable. C’est en fait la diversification des portefeuilles qui permet qu’une situation en soi inéquitable donne des résultats approximativement équitables. Ce sont quelques entreprises qui permettent de compenser la majorité, constituée par celles qui n’apportent aucun profit.

Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans vos recherches et dans l’enseignement qui y est lié?
C’est la masse de données que l’on peut analyser, et cela sur une très longue période. Les statistiques boursières permettent de remonter jusqu’à 1926! Plus d’un siècle de données à analyser, là, sur votre ordinateur! C’est une approche très empirique, que j’apprécie beaucoup. On parcourt différents pays, à différentes époques, des périodes positives, des périodes de crise financière. Avec mes étudiantes et mes étudiants, nous avons regardé par exemple la période sombre de la fin des années 1920. Du point de vue de la recherche, cela apporte énormément d’éléments historiques très intéressants.

Enfant, quelle profession rêviez-vous d’exercer?
Je me voyais architecte. Mais voilà, finalement, je suis dans la finance! En fait après l’école et le lycée, je n’ai pas eu envie d’aller à l’université, je voulais passer à des choses pratiques. J’ai donc travaillé dans une banque, et c’est suite à ce passage sur le terrain financier que j’ai décidé de revenir à des études, pour approfondir mes connaissances dans ce secteur.

Un livre qui a participé à vous construire?
Il y a des livres extraordinaires, bien sûr, mais j’ai plutôt envie de citer un film: «Gattaca» (réalisé par Andrew Niccol et sorti en 1997, NDLR). C’est un film de science-fiction, avec une vision très sombre de l’avenir. La plupart des enfants y sont «améliorés» par des spécialistes de l’ADN, qui visent à créer des êtres super sains, super forts… Le héros, lui, est un enfant «naturel» qui rêve de devenir astronaute. Il a un frère qui, lui, a été «amélioré», et leur relation, ainsi que leurs différences, sont centrales dans la narration. Sans entrer dans les détails, c’est une fiction qui met en avant l’idée de ne jamais renoncer, de ne jamais abandonner, et dont la phrase-clé est de ne pas «faire de réserves pour le retour», de ne jamais économiser ses forces, mais de compter sur sa propre volonté.

Quelle est la musique qui vous accompagne en général?
La musique pop. J’aime bien travailler en écoutant de la musique chillout lounge… Je ne suis pas particulièrement orienté musique, en fait. The data are my music! (Rires)

Le souvenir d’un moment particulièrement fort pour vous dans le cadre universitaire – en tant que professeur ou étudiant?
En tant que professeur, je crois que le meilleur moment est lorsque les étudiantes et les étudiants passent leur diplôme, que vous parlez ensemble de leur avenir, et qu’on les sent apprécier d’arriver au terme de quelque chose qui a été difficile, mais qui a été mené à bien, et qu’ils se sentent prêts pour la suite. Il arrive aussi que, une fois sortis de l’université, ils repassent ici pour discuter un peu. C’est toujours un moment très fort de voir comment ces jeunes gens se développent hors de l’université. Parce que, pendant les cours, ils doivent faire des exercices, ils sont fatigués, ils sont stressés à l’idée de l’avenir… Lorsqu’on les rencontre après leurs études, c’est très différent. Et on a alors le sentiment d’avoir été utile.

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