La procréation assistée a pour vocation d’offrir des solutions techniques pour répondre au désir d’être parent. L’une d’elles passe par le recours au don de sperme d’un tiers. Mais comment les personnes issues d’un tel don vivent-elles les relations avec le père qui les a élevées ? Comment pensent-elles leur lien au donneur de gamètes ? Rarement abordés par la recherche académique, les vécus de ces personnes sont au cœur d’un récent mémoire de Master en sociologie réalisé à l’Université de Neuchâtel.
L’aide médicale à la procréation (AMP) avec don de sperme pose la question du rôle joué par la génétique dans les liens de parenté. La grande majorité des travaux sur le sujet traitent le point de vue des parents faisant appel à cette aide médicale, et très rarement celui des personnes nées d’un don de gamètes.
Les Occidentaux pensent la parenté comme une interaction complexe entre le «biologique» et le «social», et n’accordent pas invariablement une priorité à la première de ces catégories, selon plusieurs travaux anthropologiques et sociologiques. Selon d’autres scientifiques, ce sont surtout les connexions génétiques qui constituent le fondement premier des liens de parenté.
«Dans ce contexte, je me suis demandé comment des personnes nées d’un don de sperme, et revendiquant la possibilité d’identifier la personne à l’origine du don, comprennent et vivent leurs liens de parenté», indique Jeremy Senn, auteur du travail de master réalisé sous la direction de Nolwenn Bühler, maître-assistante au Laboratoire d’études des processus sociaux de l’Université de Neuchâtel.
L’auteur de la recherche a recueilli les récits de six femmes conçues avec un don de sperme anonyme et recrutées via une association française qui lutte pour «le droit aux origines». Les interviewées pensent ce droit comme une volonté de mieux se comprendre elles-mêmes, bien plus que comme l’occasion d’établir une relation de parenté avec le donneur, même si celui-ci est parfois perçu comme une figure à la frontière de la parenté.
Un autre constat a surpris Jeremy Senn. Chez plusieurs participantes, l’annonce du mode de conception a tout d’un coup généré la perception d’une dissemblance, notamment physique, avec le père qui les a élevées. Cela illustre l’importance des gènes dans la perception des participantes de leur identité.
La révélation de leur origine n’a cependant rien enlevé aux sentiments que les participantes pouvaient éprouver à l’égard de leur père à l’état civil. «Le statut de ce dernier en tant que "papa" est même vigoureusement réaffirmé, note Jeremy Senn. En ce qui le concerne, les participantes dédramatisent l’importance des connexions génétiques. Elles s’appuient sur une acception "sociale" de la parenté, qui fait des sentiments, de l’éducation, et de l’intention parentale les véritables fondements de la parenté.»
En revanche, quand ils existent, les liens du sang deviennent importants : toutes les participantes à l’étude ont donné naissance à des «enfants biologiques», et elles valorisent l’aspect «naturel» des liens avec eux. Jeremy Senn souligne la flexibilité et la créativité des participantes à cet égard : en fonction de la relation considérée, elles optent pour des conceptions tour à tour «constructiviste» et «naturaliste» de la parenté.