Fabrication de faux objets préhistoriques au 19e siècle, mœurs au Val-de-Ruz au 18e siècle, Maison du Concert, production épistolaire d’un Chaux-de-Fonnier dans les années 1939-1942 , ainsi qu'une incursion dans une affaire de traitement de déchets remontant à peine aux années 1980. Tel est le menu proposé par le dernier numéro de la Revue Historique Neuchâteloise.
Dans le premier article de la présente édition, Chloé Lehmann revient sur l’âge de la Corne, soit cette période de quelques années à la fin du 19e siècle, durant laquelle des acteurs locaux liés à des sites de fouilles lacustres ont procédé à la fabrication de faux objets préhistoriques destinés à un public de collectionneurs. L’étude exposée ici a pour but de caractériser la période d’un point de vue historique et épistémologique, au-delà de faire la preuve des falsifications. Un point de discussion intéressant est consacré à un personnage, Gottlieb Kaiser, ancien imprimeur devenu antiquaire, qui aurait conceptualisé l’âge de la Corne et «organisé la supercherie» afin de mieux pouvoir vendre les artefacts ainsi créés.
Dans le second article, Michèle Robert nous éclaire sur la situation des mères d’enfants nés hors mariages dans la région de Neuchâtel entre 1720 et 1830, à travers la lecture des registres du tribunal de paternité de Valangin. L’étude porte sur plus de 300 cas amenés devant le tribunal. La procédure nous apprend déjà une chose, que «si une femme gagne son procès, elle ne vivra qu’un an avec son enfant, conséquence difficilement envisageable à nos yeux, mais c’est l’issue qu’elle espère en allant en justice.» L’article contient des anecdotes touchantes, comme celle de ce Maître-bourgeois de Neuchâtel ayant «engrossé» une veuve d’Engollon. «Il lui avait expressément défendu de jamais l’accuser et il aurait ainsi promis de prendre soin d’elle.» Or ce dernier est décédé avant les couches de la veuve. Ainsi elle a déclaré d’abord au pasteur «qu’elle était enceinte d’un quidam qui l’avait attaquée sur un chemin.» Il arrive bien souvent que les cas amenés devant le tribunal se terminent par un mariage. Enfin, sur les 82 sentences prononcées, contrairement aux idées retrospectives que l’on peut se faire, 46 sont favorables aux femmes et 36 aux hommes.
Signée Natania Girardin. la troisième contribution établit la genèse de la Maison du Concert à Neuchâtel, institution qui fêtait en 2019 ses 250 ans d’existence. L'édifice a en effet vu le jour en 1769, sous l’impulsion de l’Académie de musique, créé en 1754. L’édification de la Maison du Concert a précédé d’une vingtaine d’année celle de l’Hôtel-de-Ville, au nord. Au fil du temps, parallèlement aux concerts, des «comédies» jouées par des particuliers ont commencé à ravir les amateurs, transformant la Maison du Concert en un endroit davantage apprécié pour ses spectacles d’art vivant que pour ses prestations musicales uniquement. Dans ce texte, on apprend également que la Maison du Concert a failli être rasée pour mettre en valeur l’esthétique de l’Hôtel-de-Ville, avant d'être finalement sauvée et rénovée in extremis en 1861-62. Il a fallu pratiquement un siècle de débat, soit tout le 20e siècle, pour aboutir à la construction d’un théâtre moderne en ville de Neuchâtel, en l’occurrence l’actuel Théâtre du Passage.
La Maison du Concert, qui propose toujours des spectacles, c’est désormais, depuis plus de vingt ans, le nom de l’association qui gère le Théâtre du Concert et le café-restaurant attenant, le Bistrot du Concert.
Le quatrième texte fait appel au concept de microhistoire. L’idée étant de prendre en considération des petits espaces, à propos desquels on questionne des contextes plus larges. Ainsi Tobias Hofstetter analyse la correspondance transmise par Philippe Gander à sa mère au cours des premières années de la 2e guerre mondiale, entre 1939 et 1942. Philippe Gander est un Chaux-de-Fonnier établi à Zurich pendant quelques années afin de travailler dans l’entreprise de son oncle et de parfaire, surtout, son suisse-allemand. Le corpus se compose de 29 lettres. Il est unilatéral, c’est-à-dire qu’il ne contient que les lettres adressées par Philippe Gander à sa mère, mais pas les lettres de la mère à son fils.
L’analyse est qualitative et quantitative. Elle regarde notamment dans quelle mesure certaines thématiques sont plus ou moins présentes dans les missives. Parmi les thématiques identifiées on trouve notamment les notions de «jeunesse aisée», «élite intellectuelle», «milieux chrétiens.» Philippe Gander aura profité de son séjour également pour intégrer la Ligue du Gothard, mouvance civique fondée en 1940 dont les buts étaient surtout de lutter contre le défaitisme parmi la population suisse et d’éviter que la propagande nazie ne trouve un terreau fertile de l’autre côté du Rhin. Denis de Rougemont et Gonzague de Reynold font partie des fondateurs de la Ligue du Gothard.
Le dernier texte se réfère à une époque plus récente et revient sur l’histoire d’une pollution industrielle à La Chaux-de-Fonds dans les années 1980. Le 13 août 1985, un nuage toxique rouge/orange se dégage au-dessus de CISA, une usine de traitement des déchets solvants, à l’est de la ville. Cet épisode vient clore une série d’incidents néfastes pour l’environnement, survenus en quelques mois, en lien avec cette entreprise. L’analyse de l’historien Julien Gressot consiste à se demander comment CISA a pu en arriver là. Une analyse qui passe notamment par l’étude du procès qui suivra en 1988.
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