De l’utilisation d’outils pour accéder à la nourriture à des capacités de communication vocale, les chimpanzés sont connus pour l’extraordinaire richesse de leurs comportements. Mais avec la conversion croissante de leur habitat naturel en zones agricoles, cette diversité des comportements est sérieusement diminuée, jusqu’à atteindre une réduction de 88% entre certains groupes. C’est le constat d’une vaste étude internationale dirigée par deux instituts de recherche allemands à laquelle a pris part le Laboratoire de cognition comparée de l’Université de Neuchâtel. Ces résultats font l’objet d’un article signé par 77 spécialistes et publié dans la prestigieuse revue Science.
Comparés à d’autres primates non humains, les chimpanzés présentent une diversité de comportements exceptionnelle. La plupart de ces comportements s’apprennent socialement par imitation et sont spécifiques à certains groupes d’individus, ce qui suppose l’existence de différentes cultures parmi les chimpanzés. Comme d’autres grands singes, les chimpanzés subissent la pression des activités humaines qui se traduisent par des changements de leurs environnements naturels. Leurs habitats originels, forêts tropicales ou de savane, sont de plus en plus transformés en exploitations agricoles, plantations, voire en zones d’habitation. Sans même parler des dégradations provoquées par l’extraction de ressources naturelles ou le développement d’infrastructures.
L’équipe internationale a été menée par Hjalmar Kühl et Ammie Kalan du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology et du German Centre for Integrative Biodiversity Research. Dans une approche sans précédent, elle a compilé un ensemble de 31 comportements de chimpanzés provenant de 144 groupes sociaux ou communautés. En plus de ces informations disponibles dans la littérature scientifique, cette recherche comprend des travaux menés durant ces neuf dernières années au sein du Pan African Programme (http://panafrican.eva.mpg.de) dans 46 stations de terrain de 15 pays où vivent des chimpanzés. Parmi ces travaux figurent des données fournies par Klaus Zuberbühler, directeur du Laboratoire de cognition comparée de l’Université de Neuchâtel, récoltées au cours des missions successives qu’il a supervisées dans la Budongo Conservation Field Station en Ouganda.
Les comportements pris en compte dans cette vaste étude comprennent les techniques d’extraction et de consommation de termites, de fourmis, d’algues, de noix ou de miel. A quoi s’ajoutent des outils pour chasser, pour creuser la terre à la recherche de tubercules, ainsi que l’utilisation de pierres, ou encore la plongée dans des vasques naturelles ou la fréquentation de grottes pour se rafraîchir en cas de chaleur excessive.
Les comportements des chimpanzés notés dans chacun des sites étaient examinés en fonction d’une variable rassemblant les différentes formes d’impact humain subies et leurs conséquences sur l’environnement. On y trouve la densité de population humaine, le nombre de routes, les surfaces de rivières et de forêts, autant d’indicateurs attestant du changement de paysage dans les habitats naturels des chimpanzés.
«Les analyses ont révélé que les chimpanzés voient leur diversité comportementale réduite à mesure que l’impact humain augmente, explique Ammie Kalan. Cette relation est cohérente, indépendante des groupes observés et de la catégorie des comportements. En moyenne, la diversité comportementale des chimpanzés était de 88% inférieure dans les lieux où régnait le plus fort impact humain par rapport à ceux qui présentaient le plus faible.»
Plusieurs mécanismes pourraient expliquer cette perte de richesse des comportements. D’abord la taille de la population : comme pour les humains, plus celle-ci est faible, plus le maintien des caractéristiques culturelles est difficile. Il se peut également que les chimpanzés évitent des comportements peu discrets, comme de casser des noix, qui pourraient informer des chasseurs de leur présence. La dégradation de l’habitat et la diminution des ressources peuvent aussi réduire les opportunités d’apprentissage social et empêcher ainsi la transmission des traditions locales d’une génération à l’autre. Enfin, les changements climatiques pourraient influencer la production d’importantes sources de nourriture et rendre leur accessibilité imprévisible.
«Nos résultats suggèrent que les stratégies de conservation de la biodiversité devraient s’étendre à la protection de la diversité comportementale des animaux, affirme Ammie Kalan. Tout site où l’on observe un ensemble exceptionnel de comportements devrait être protégé sous l’appellation de ‘Site d’héritage culturel des chimpanzés’ (Chimpanzee cultural heritage site). Ce concept pourrait être étendu à d’autres espèces présentant un degré élevé de richesse culturelle, comme les orangs-outans, les singes capucins ou les baleines.»
Ces propositions vont dans le sens des efforts existants pour la conservation de la biodiversité, comme la Convention sur la diversité biologique et la Convention sur la conservation des espèces migratrices sauvages appartenant à la faune sauvage. Ces conventions appellent à la protection de la biodiversité dans son ensemble, y compris à celle de la diversité des comportements culturels en milieu sauvage.
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