«Transformation digitale, quelle révolution!?» c’est le titre de la leçon inaugurale qu'a présentée Adrian Holzer mercredi 8 mai à l'Université. Une leçon inaugurale résolument ancrée dans l’époque!
Rien ne prédestinait Adrian Holzer à s’engager dans l’informatique, sinon la curiosité, et la conscience de l’importance que le monde numérique allait rapidement prendre. A l’heure du tout digital, de la robotisation forcenée et du débat sur la 5G, on ne peut pas dire qu’il ait eu tort…
«Faire converger les écosystèmes physiques et numériques grâce à de nouvelles technologies de l’information et de la communication», dites-vous dans la présentation de cette leçon inaugurale… c’est-à-dire?
Auparavant, ces deux mondes étaient séparés. Aujourd’hui, grâce aux appareils mobiles, on a accès au monde numérique en tout temps. Et grâce à leurs senseurs – GPS, accéléromètre, etc. – ces appareils ont accès au monde physique. Cela a ouvert la porte à de nombreux nouveaux services, qu’il s’agisse du covoiturage, du calcul du nombre de pas que vous faites, etc. De l’autre côté, il y a la question du partage de données, des données qui peuvent être utiles, mais qui posent aussi un problème de confidentialité.
Et parfois des problèmes socio-économiques… Pourquoi, selon vous, cette frénésie de robotisation et d’informatisation malgré les risques sociétaux encourus ?
Peut-être parce qu'il est perçu que les dividendes digitaux, comme les appelle la Banque mondiale, peuvent être positifs s'ils sont accompagnés de compléments appropriés dans le monde physique, comme un système éducatif et légal adéquat, par exemple. Il y a toujours l’espoir que ces nouvelles technologies, si elles sont bien mises en place, bien utilisées, puissent être utiles à la société.
En marge de ce sujet, une controverse de taille prend son envol: la 5G. Frilosité face à la nouveauté ou vraie problématique?
En tant que pendulaire, je me réjouis d'une technologie qui me permette de faire du travail collaboratif en ligne de manière continue. Mais en tant que chercheur en systèmes d'information dans des environnements sensibles tels que les crises humanitaires, je pense qu’il est bien d'évaluer les risques d'une technologie avant de la déployer, au lieu d'adopter l'adage de la Silicon Valley: «Demander pardon plutôt que demander la permission». Enfin, en tant que citoyen, je pense qu'il est important de se référer au consensus scientifique dans un domaine pour prendre des décisions basées sur des faits. Dans le cas des inquiétudes sur la santé, ce sont des chercheuses et chercheurs en médecine à qui il faut poser la question.
Vos recherches portent sur quels secteurs spécifiques de cette «quatrième révolution industrielle»?
Sur la partie création et utilisation de services, en particulier des services qui visent le partage de connaissances. Je travaille à cela notamment dans les cadres humanitaire et éducatif. En cours par exemple, on regarde comment utiliser de tels systèmes pour la transmission et l’acquisition de l’information. Lorsque j’étais à l’Université de Lausanne, puis à l’EPFL, on a développé l’application SpeakUp (en open access et maintenant en open source), qui permet de développer des interactions avec une classe, par exemple des questions, un sondage, un vote. Il ne s’agit pas de remplacer les interactions face à face, mais bien de les compléter afin de les enrichir.
Enfant, étiez-vous déjà passionné d’informatique?
Non. J’ai suivi la filière «économie» jusqu’à la Maturité fédérale, et j’ai bifurqué ensuite vers les «systèmes d’information» parce que je ne connaissais pas grand-chose à l’informatique, mais que j’avais conscience de l’importance que ce secteur allait prendre. Je n’ai pas toujours suivi un plan de carrière très défini. J’ai plutôt eu l’approche de choisir des choses qui m’intéressaient sur le moment, sans compromettre mon avenir pour autant.
Ce qui vous passionne le plus dans vos recherches et dans l’enseignement qui y est lié?
Il y a d’un côté la recherche. L'informatique, qui déjà est partout, va prendre encore plus d’importance, dans tous les domaines. D’où une collaboration interdisciplinaire passionnante, qui déborde largement du cadre de l’université. De l’autre côté, il y a l’enseignement. En tant que professeur, il est important de transmettre l’enthousiasme à apprendre de nouvelles choses. La vulgarisation de la connaissance est essentielle, ainsi que la mise en place de nouveaux moyens pour faciliter la transmission et l'acquisition de la connaissance.
Un livre qui a participé à vous construire?
Peut être le premier livre de non-fiction qui a ouvert la voie à mon appétit de lecture : «Globalization and Its Discontents» de Joseph Stiglitz, un livre d’économiste – il travaillait à l’époque à la Banque mondiale – qui m’a ensuite ouvert à d’autres ouvrages. Par exemple, des ouvrages historiques, Jared Diamond, ou des livres d’économie comportementale comme ceux de Dan Ariely ou encore des livres traitant d’enjeux sociétaux majeurs comme le font Arundhati Roy ou Noam Chomsky. Ces autrices et auteurs, de près ou de loin, ont été des influences dans mon travail, même si en soi, ils n’ont rien à voir avec l’informatique. Par contre, jusqu’à l’obtention de mon master, je n’étais pas un lecteur très assidu. J’étais plutôt du genre à peiner à arriver à la fin d’un livre pour faire un exposé.
Quelle est la musique qui vous accompagne en général?
Pour danser, du funk. Pour travailler, des trucs un peu électro alternatif comme Sylvan Esso, Ratatat, Santigold, et pour le reste, du rap.
Le souvenir d’un moment particulièrement fort pour vous dans le cadre universitaire?
Les pauses café en tant que doctorant, avec des collègues d'autres départements. C’était des moments d’échange d’idées avec par exemple des économistes, des spécialistes de marketing ou encore des juristes. Beaucoup de mes collaborations interdisciplinaires qui durent encore aujourd’hui ont commencé là. Ce qui pouvait avoir l’air d’une simple pause a en réalité eu une influence majeure dans ma carrière. Par conséquent, je conseille en général à mes doctorants d’aller boire des cafés.