No 160, juin 2019

Communauté

«Refuser l’optimisme entrave les progrès de l’humanité»

Rencontre avec Olivier Massin, professeur de philosophie générale


Olivier Massin
Bio Express

Olivier Massin est professeur ordinaire de philosophie générale. Agrégé de philosophie, il obtient un premier Doctorat de philosophie à Aix-en-Provence en 2010, puis un second à Genève en 2011. Il est ensuite maître-assistant à l’Université de Genève, chercheur invité à Lund et Toronto, professeur FNS à Zurich et chargé de recherche CNRS à l’Institut Jean-Nicod (Paris). Il a rejoint l’UniNE en août 2018.


Domaines de compétence:
Philosophie des sciences, philosophie de l'économie, philosophie du droit

Domaines de spécialisation:
Métaphysique, théorie des valeurs, ontologie sociale, philosophie de l'action, philosophie de l'esprit, école brentanienne.

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«De l’optimisme», c’est, en toute simplicité, le titre de la leçon inaugurale qu’Olivier Massin, professeur de philosophie générale, a donné en mai dernier. L’optimisme, presque un gros mot en ces périodes de doute généralisé… Entretien.

Bizarrement, dans les conversations courantes, le mot «optimisme» est souvent accompagné de l’adjectif «béat». Avec un peu de condescendance à l’égard de celui qui a la légèreté de s’avouer optimiste… «Il y a aujourd’hui une prime accordée au pessimisme. Les gens pensent que l’optimisme est une forme de délusion, d’erreur, d’enthousiasme exagéré sur la réalité et que la seule façon d’être lucide est d’être désabusé», constate Olivier Massin.

Avant de se référer au 18e siècle: «Il y a eu un courant philosophique très optimiste: c’était les Lumières. Dans une période pourtant sombre, on était très optimiste sur l’avenir du monde, sur la capacité des sciences à se développer. Aujourd’hui, nous vivons dans une opulence que n’a jamais connue l’humanité, dans une époque beaucoup plus pacifique que celle des Lumières, où la science fait des progrès gigantesques et, malgré tout, on a complètement abandonné cet optimisme.»

Mais au fait, comment définit-on l’optimisme?
Par «optimisme», on désigne souvent une attitude simplement dirigée vers le futur: tout va bien aller! Une autre forme d’optimisme est de croire en nos capacités: le futur est dans nos mains. Mon optimisme porte sur les capacités humaines : les progrès passés montrent que nous ne devrions pas douter de nos capacités à progresser dans le savoir, à améliorer la société. Je pense que refuser un tel optimisme entrave les progrès de l’humanité.

Une forme de pessimisme quant à nos capacités de connaissance a gagné en influence au sein des sciences humaines, sous l’effet de courants de pensée dits constructivistes ou relativistes. Ceux-ci suggèrent que la poursuite des valeurs épistémiques – la connaissance, la vérité, le progrès vers celles-ci – serait vaine pour la raison qu’il n’y aurait pas de réalité à découvrir.

Je m’oppose à cette vision. Le chemin est difficile, on peut se tromper, mais collectivement, à petits pas, par approximations successives, les sciences s’approchent d’une meilleure compréhension du réel.

Vous distinguez différentes formes d’optimisme…
L’exemple type de l’optimisme, c’est le verre à moitié vide ou à moitié plein. Si on regarde tous les deux ce verre, on est d’accord sur les faits: la moitié du verre est remplie de liquide. Mais on n’est pas nécessairement d’accord sur l’attitude à adopter vis-à-vis des faits.

Il y a un deuxième type d’optimisme qui, lui, est lié à un désaccord sur les faits. Par exemple, par rapport à l’avenir, quelqu’un dira «le progrès a été extraordinaire jusqu’à maintenant, il n’y a pas de raison que cela s’arrête». Et un autre dira «c’est vrai qu’il y a eu du progrès, mais on a accumulé tellement de déséquilibres qu’on va vers la chute». En l’occurrence, ils sont d’accord sur les faits passés, mais pas sur les faits futurs.

Ce qui vous passionne le plus dans vos recherches et dans l’enseignement qui y est lié?
En ce qui concerne l’enseignement, j’évoquerais d’abord la transmission de la connaissance. On arrive après une longue histoire de la philosophie, nous sommes des nains sur des épaules de géants: notre premier devoir consiste à transmettre cela à nos étudiants. Notre seconde tâche est de faire que cette nécessaire humilité intellectuelle ne devienne pas une inhibition: c’est à nous de former les géants du futur.

Un élément essentiel, pour ce faire, est de parvenir à susciter la curiosité. La curiosité est une qualité très présente chez l’enfant, mais qui ensuite se perd très vite, au profit d’autres intérêts, le fait d’agir sur les choses, de vouloir les changer…

On perd parfois aussi l’intérêt pour les choses elles-mêmes en s’intéressant de plus en plus aux théories qui les évoquent: la biologie, la philosophie, etc. Mais le vrai scientifique ne s’intéresse pas à la biologie, il s’intéresse à son objet, la vie! Cela doit être la même chose avec la philosophie: les théories, ce sont juste des outils pour comprendre le monde.

Evidemment, «transmettre la connaissance» et «susciter la curiosité», ce sont des réponses affreusement banales, mais qu’elles soient très courantes ne doit pas masquer le fait qu’elles ont un sens, qu’elles recouvrent des choses essentielles et difficiles à obtenir.

Enfant, quelle profession rêviez-vous d’exercer?
Honnêtement, je ne m’en souviens plus! J’ai dû changer d’avis dix fois!

Un livre qui a participé à vous construire?
Adolescent, j’ai été très marqué par les livres de Pierre Desproges. Pas vraiment un optimiste…mais les bons humoristes le sont rarement.

Quelle est la musique qui vous accompagne en général?
Actuellement, j’écoute beaucoup de musique baroque française, Rameau, Mondonville. Cela change beaucoup selon les périodes! J’aime beaucoup la musique, mais en général je n’aime pas travailler en musique, ni courir en musique: je n’aime pas être coupé de mon environnement. Dans mon bureau, qui donne directement sur le lac, la musique qui m’accompagne, c’est le bruit des vagues.

Le souvenir d’un moment particulièrement fort pour vous dans le cadre universitaire?
Un colloque, en 1999, alors que j’étais étudiant en master à Grenoble. Je suivais mes études dans une Faculté de lettres qui était très marquée par le constructivisme que j’évoquais précédemment, voulant que l’idée de s’approcher de la connaissance ou de la vérité relève d’un optimisme «béat», selon l’expression que vous utilisiez. Et j’étais moi-même profondément convaincu de cela.

Ce colloque portait sur la métaphysique australienne, et son titre suggérait que le constructivisme était une fausse approche. J’y allais donc un peu pour me moquer. Il y avait des philosophes du monde entier qui, je le découvrirais plus tard, faisaient partie des plus grands. Tous étaient, sans la moindre hésitation, réalistes. Ils se posaient des questions sur les faits, sur la vérité, et cela m’a complètement retourné.

J’ai réalisé que cette approche rendait la recherche beaucoup plus intéressante. Parce que la vision relativiste qui veut que tout objet soit une construction sociale est finalement répétitive et assez ennuyeuse. A l’inverse, accepter le réel ouvre une multitude de possibilités de découverte. Je suis passé d’une vision qui veut que le monde soit le produit de notre représentation à une conception totalement réaliste des choses: le monde est là, il existe indépendamment de nous, on peut essayer de connaître les choses et parfois, y parvenir. Cela rend plus contemplatif et… plus heureux !


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