No 163, décembre 2019

Université

Origines du langage : au début était la syntaxe

Singe
Photo: Corinne Ackermann

Les grands singes seraient capables d’analyser la causalité dans les événements qu’ils observent, une capacité qui servirait de base pour l’évolution de la syntaxe du langage humain. C’est l’hypothèse que formule aujourd’hui le primatologue Klaus Zuberbühler, professeur à l’Université de Neuchâtel, dans un article d’opinion de la revue britannique Philosophical Transactions, éditée par la prestigieuse Royal Society depuis 1665. Dans un numéro spécial, celle-ci a rassemblé des réflexions de spécialistes mondialement reconnus sur ce que la communication animale peut nous apprendre à propos du langage humain.

Quand ils sont exposés à un nouvel événement, certains grands singes (chimpanzés ou gorilles, par exemple) ne se contentent pas de laisser se dérouler l’action sous leurs yeux de manière passive, rappelle Klaus Zuberbühler. Leur premier réflexe est de déterminer « qui a fait quoi à qui », avant tout processus de communication.

La notion même de syntaxe est donc apparue bien avant le langage proprement dit. Elle est liée au besoin d’identifier les acteurs d’une action et les éléments sur lesquels elle porte. Cette façon de regarder le monde est la même pour tous les primates supérieurs, qu’ils soient humains ou non humains, observe Klaus Zuberbühler.

Etonnamment, les capacités syntaxiques des grands singes cacheraient déjà les prémisses de la grammaire humaine commune à toutes les langues. «Pour décrire un événement, on a toujours besoin d’identifier le sujet, le verbe qui décrit l’action, et le complément indiquant qui est la cible de l’action, illustre le primatologue. Prenons un gorille qui entend le bruit d’une branche heurtant le sol. L’animal prend conscience de la scène en identifiant le sujet comme la branche d’un arbre, sa chute comme l’action et enfin le sol comme la cible.»

Pour vérifier cette hypothèse, Klaus Zuberbühler a lancé des recherches en collaboration avec le zoo de Bâle sur des orangs-outans, des chimpanzés et des gorilles. Il est également associé dans ce projet à l’ISLE, un Centre interdisciplinaire de compétences sur l’évolution du langage à l’Université de Zurich.

Les expériences consistent notamment à enregistrer les mouvements des yeux (eye tracking) d’un orang-outan regardant une scène d’action sur un écran, ce qui permet de déterminer l’ordre dans lequel le primate perçoit les événements qui se succèdent devant lui. A ce stade, les scientifiques vont tester les capacités syntaxiques des primates au niveau de la perception. Quant à savoir s’ils sont capables de la communiquer aux autres congénères par une succession spécifique de leurs cris, il est encore trop tôt pour l’envisager.

Klaus Zuberbühler, Syntax and compositionality in animal communication, Phil Trans B, November 2019.

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