Chez les poissons nettoyeurs, la partie du cerveau associée à la sociabilité augmente de volume lorsque la taille de la population croît. Une étude menée au Laboratoire d’éco-éthologie de l’Université de Neuchâtel révèle pour la première fois l’existence de ce lien entre taille du cerveau et sociabilité, appelé «hypothèse du cerveau social», au sein d’une même espèce. En l’occurrence parmi des poissons de la Grande Barrière de corail. Ces résultats, fruits d’une collaboration avec l’Université du Queensland (Australie), sont publiés dans la revue Royal Society Proceedings B.
Les poissons nettoyeurs Labroides dimidiatus sont des acteurs incontournables des récifs coralliens. En débarrassant les poissons plus grands des ectoparasites qui prospèrent sur leur peau ou leurs dents de poissons, ils contribuent au bien-être de leurs "clients" tout en se nourrissant, dans une véritable relation gagnant-gagnant. Ces petits poissons vivent en groupe dont la taille varie en nombre et en densité.
Post-doctorante à l'Institut de biologie de l’Université de Neuchâtel, Zegni Triki et ses collègues ont découvert que si la taille de la population des poissons nettoyeurs double, le lobe frontal de chaque individu, correspondant à la région cérébrale qui gère les interactions sociales, augmente de taille. Il occupe en moyenne un volume plus élevé de 14% dans le cerveau des individus dont la population a doublé. Cet élargissement sélectif du cerveau semble être en lien avec le besoin d’interagir plus souvent avec les membres de sa propre espèce.
Parmi ces interactions figure la défense plus agressive du territoire en cas d’intrusion d’un membre d’un autre groupe de poissons nettoyeurs. Un autre volet des relations intraspécifiques se retrouve notamment dans l’intérêt qu’ont les poissons nettoyeurs à œuvrer en couple, comme l’avait démontré il y a plus de dix ans Redouan Bshary, directeur du Laboratoire d’éco-éthologie de l’Université de Neuchâtel. Ou, plus étonnant encore, les contrôles réguliers par les mâles des femelles de leur harem, afin d’empêcher un changement de sexe, commun chez cette espèce, et de voir ainsi apparaître de nouveaux compétiteurs mâles, selon une étude japonaise.
L’hypothèse du cerveau social avait été à l’origine suggérée par l’anthropologue Robin Dunbar, indiquant que la taille du cerveau des primates a augmenté en raison de la complexité des interactions sociales qu'ils ont à gérer. Elle se vérifie maintenant même parmi les poissons nettoyeurs, dont les capacités cognitives sont plus complexes que l’on serait tenté de croire.
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