No 155, novembre - décembre 2018

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Renvois des étrangers: comparaison entre la France, la Suisse et la Turquie


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Les politiques d’expulsion des étrangers en délicatesse avec la loi en France, en Suisse et en Turquie ont fait l’objet d’une thèse de doctorat en sociologie à l’Université de Neuchâtel. Sociologue et avocat, Ibrahim Soysüren a rassemblé les résultats de cette recherche comparative financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) dans un livre publié aux Editions Alphil. Il en ressort qu’en dépit des différences notables entre les trois pays étudiés, les renvois des étrangers constituent un des outils principaux, considéré comme indispensable mais souvent voué à l’échec, de la gestion des migrations.

Avant de devenir un outil des politiques migratoires, l’expulsion a été pratiquée par les empires et a accompagné la naissance des États-nations. De nos jours, les interrogations quant à cette pratique devenue «ordinaire» se focalisent, pour la plupart, sur les conséquences de son usage jugées excessives. Comment comprendre cette normalisation et comment la dépasser pour pouvoir travailler à une compréhension sociologique de l’expulsion des étrangers ?

L’objectif de ce travail est d’étudier, de manière comparative et sur la base d’une enquête de terrain approfondie étalée sur plusieurs années, l’expulsion des étrangers délinquants ou sans-papiers dans trois pays : la Suisse, la France et la Turquie. Le choix de ces pays repose notamment sur les différences qu’ils présentent dans leur positionnement face à la politique européenne de l’immigration. De par son rôle prépondérant dans l’Union européenne (UE), la France y participe activement. Sa législation en matière de migration est d’ailleurs transposée, du moins en partie, du droit européen.

Même si elle n’est pas membre de l’UE, la Suisse fait partie, via les accords de Schengen et le Règlement européen «Dublin III», du dispositif sécuritaire augmentant l’efficacité du processus d’expulsion au niveau européen. La Turquie, quant à elle, est devenue aujourd’hui une plaque tournante vers l’Europe des réseaux de migrations en provenance du Moyen-Orient, mais aussi de l’Asie et de l’Afrique. L’accord conclu entre l’UE et ce pays, le 18 mars 2018, visant à empêcher l’arrivée des migrants en Europe, a fait couler beaucoup d’encre. En outre, de nombreux ressortissants en provenance de Turquie vivent dans les deux autres états étudiés et, chaque année, certains d’entre eux sont expulsés.

Cet ouvrage compare plusieurs aspects pratiques de la politique de renvoi. Quels sont les moyens mobilisés pour expulser les étrangers? Quelle place y occupe la contrainte? Comment expliquer l’écart entre le nombre de décisions d’expulsion et celui des personnes effectivement renvoyées? Dans quelle mesure et comment les étrangers essaient-ils de contester leur expulsion?

Le chercheur constate que l’idée d’expulsion a très tôt fait partie de la gestion des flux migratoires et montre que des services administratifs y sont mêlés pour en augmenter l’efficacité. Ainsi, en Suisse, dans les centres d'enregistrement et de procédure fédéraux, les personnes sont informées de l’existence d’une prime financière pour les encourager au retour vers leur pays d’origine, avant même le dépôt de leur demande d’asile. En France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, des quotas d’expulsions ont été annoncés chaque année. Différents services administratifs, ainsi que des inspecteurs du travail et des fonctionnaires s’occupant de la prise en charge des chômeurs, ont été incités à contribuer à ces objectifs.

«Ce qui m’a également surpris, note Ibrahim Soysüren, c’est le nombre de personnes expulsées qui, même si elles sont interdites de séjour, retournent aussi vite que possible dans les pays qui les ont renvoyées. J’en ai d’ailleurs interviewé plusieurs lors de mon enquête.» L’expulsion des étrangers en délicatesse avec la loi n’est donc, à ses yeux, pas toujours une solution à long terme, en plus du fait qu’elle n’est pas simple à réaliser et souvent vouée à l’échec.

Ibrahim Soysüren, L’expulsion des étrangers en France, en Suisse et en Turquie, Alphil, 2018, 410 p. ISBN 978-2-88930-183-6


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