Pour gérer la croissance exponentielle des appareils électriques et électroniques usagés, appelés e-waste, la Chine prône leur recyclage par broyage et récupération des matériaux. Mais smartphones, écrans plats ou autres objets déclarés «en fin de vie» bénéficient souvent d’une seconde vie grâce à des acteurs locaux qui les remettent à neuf pour les revendre, en marge de la politique environnementale officielle. C’est à ces acteurs et à ces pratiques qu’Yvan Schulz s’est intéressé dans sa thèse de doctorat, dans le cadre d’un plus vaste projet sur l’e-waste dirigé par l’ethnologue Ellen Hertz.
Il parle de discarded electrical and electronic equipment (DEEE) plutôt que d’e-waste. Une nuance qui a, aux yeux du chercheur en ethnologie, toute son importance. «Les équipements électriques et électroniques usagés sont en général assimilés à des rebuts, bons à terminer à la poubelle, explique-t-il. Or ces derniers ne se transforment pas automatiquement en déchets.» Son projet de recherche en Chine le démontre : «Le Gouvernement central chinois a mis en place, dès le début des années 2000, un système visant à broyer ces appareils pour récupérer les matériaux dont ils sont constitués, arguant qu’il s’agissait là du meilleur moyen pour remédier à la pollution. Ce faisant, il a promu un type de pratique de recyclage au détriment de celles qui existaient déjà avant l’intervention gouvernementale. Des pratiques qui continuent d’exister aujourd’hui en marge du système de recyclage officiel, grâce à de nombreux autres réseaux qui permettent à ces objets déclarés en fin de vie de renaître, en d’autres termes de voir leur durée de vie prolongée.»
C’est principalement à ces réseaux que s’est intéressé Yvan Schulz dans le cadre de sa thèse de doctorat. Pendant près de deux ans, il a arpenté le sud de la Chine, notamment la ville portuaire de Guangzhou et la province du Guangdong, pour étudier des pratiques qui se sont développées indépendamment des programmes et réglementations étatiques. «Dans cette région, des milliers d’artisans et d’acteurs informels gagnent leur vie en récupérant, en remettant à neuf et en revendant ces appareils. En règle générale, les appareils et composants revendus en tant que tels valent plus que le prix des matériaux qui les composent, raison pour laquelle ces artisans sont souvent plus compétitifs que les entreprises participant au système officiel et parviennent plus facilement à mettre la main sur les DEEE.»
Le chercheur relève qu’en Chine ces pratiques de réutilisation tendent à passer inaperçues, du moins au niveau des politiques publiques, bien qu’il existe un consensus sur le fait qu’elles sont préférables d’un point de vue environnemental. «Il y a une contradiction : nous avons un gouvernement qui tient un discours écologique mais qui ne promeut pas ce qui existe déjà on the ground et qui fonctionne», poursuit Yvan Schulz. La raison ? «Le broyage des DEEE et la récupération des matériaux sont compatibles avec la logique productiviste qui anime l’industrie et les autorités étatiques chinoises. Les pratiques de recyclage basées sur la réutilisation des produits pour leurs fonctions, elles, ne le sont pas.»
Intitulée Modern waste : The political ecology of e-scrap recycling in China, la thèse de doctorat qu’Yvan Schulz a soutenue récemment s’inscrit dans un projet plus large sur le commerce de l’e-waste en Chine et en Afrique dirigé par l’ethnologue Ellen Hertz.