Bio express
Christin Achermann a obtenu une licence en anthropologie sociale, sociologie et histoire à l’Université de Berne en 2001. Entre 2002 et 2009, elle a été chercheuse au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population à Neuchâtel. En parallèle, elle a été assistante de recherche à l’institut d’anthropologie sociale de l’Université de Berne où elle a obtenu son doctorat en 2008. Elle a occupé le poste de professeure assistante en études des migrations, rattaché au Centre de droit des migrations (CDM) de l’Université de Neuchâtel de 2009 à 2015. Depuis 2016 elle est professeure ordinaire en migration, droit et société et rattachée à la Maison d’analyse des processus sociaux et au CDM. De plus, elle est responsable d’un projet de recherche au sein du NCCR On the move.
Ses domaines de recherche
Inclusion et exclusion sociale, Mise en pratique du droit des migrations, Migration et exécution de peines, Renvois/expulsions d'étrangers, Migrations irrégulières et «sans-papiers», Citoyenneté et naturalisation.
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On évoque volontiers la tradition humanitaire de la Suisse et sa politique d’accueil. Mais, brutalement dit, qu’en est-il de la Suisse qui rejette? Thématique délicate à laquelle Christin Achermann a consacré sa leçon inaugurale: «La Suisse exclusive: quelles pratiques à l’égard des personnes étrangères ‘indésirables’?»
En Suisse, la détention administrative permet d’assurer l’exécution d’une décision de renvoi de personnes étrangères dépourvues d’un droit de séjour. La loi existe, le peuple lui a donné son aval. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, pour citer Leibniz. Mais… derrière les mots, quelle est la réalité concrète, la réalité vécue? C’est l’une des questions que pose la professeure Christin Achermann.
«La Suisse exclusive: quelles pratiques à l’égard des personnes étrangères ‘indésirables’?», c’est le titre de votre leçon inaugurale. Sur quelles dimensions de ces pratiques vous penchez-vous en particulier?
La pratique des personnes qui sont chargées d’appliquer la loi. Une loi dit que l’on peut mettre en détention quelqu’un pour tel ou tel motif. Et il y a une personne réelle qui exécute cela. C’est elle qui m’intéresse. J’essaie de prendre en compte la plupart des réalités des acteurs impliqués sur le terrain. Cela peut être des gardes-frontières, des policiers, souvent des employés de l’administration cantonale. Et même si les hiérarchies jouent un rôle important, je me focalise sur les gens du terrain, ceux qui doivent vraiment prendre la décision de mettre quelqu’un en prison, rédiger cette décision, l’argumenter.
Quand on se place aussi près de la réalité, obtient-on facilement des réponses?
C’est l’obtention de l’accès qui est parfois difficile. Une fois qu’on l’a, ça va. Il y a un travail de mise en confiance, mais les gens sont plutôt ouverts. J’ai réalisé plusieurs recherches dans le cadre d’administrations et à chaque fois j’ai été étonnée de voir à quel point les gens parlent de manière ouverte et franche. En général, je m’attends à ce que certains soient gênés, ou aient un peu honte de certaines choses. Mais ce n’est pas le cas: visiblement, ils sont à l’aise avec ce qu’ils font, même face à une chercheuse en sciences sociales qui leur pose des questions. Pour eux, l’existence d’une loi donne une légitimité à leur action: «Ce n’est pas moi qui ai décidé, j’exécute. Je fais mon boulot, le mieux possible, en mon âme et conscience».
A travers ce travail, que leur apporterez-vous comme retours? Ont-ils des attentes?
Nous leur présenterons nos résultats. Nous en discuterons, nous sommes très intéressés à entendre ce qu’ils ont à en dire. Ce n’est pas nécessairement évident, parce que la perspective scientifique, celle qui est importante par exemple pour une publication académique, n’est pas celle qui intéresse le plus les gens du terrain. L’attente irait plutôt vers une demande d’évaluation, voire de recommandations, alors que ce n’est pas notre premier objectif. Pour nous, il s’agit d’apprendre ce qui se passe dans un cadre dont on ne sait pas grand-chose, par exemple la détention des personnes en vue du renvoi. On sait que cela existe, on a quelques chiffres, mais on ne sait pas vraiment ce qui se passe concrètement à l’intérieur. C’est un peu une boîte noire. L’autre objectif est de se poser des questions qui vont plus loin. Il est facile pour nous de voter et de dire: «Oui, on est d’accord de mettre en prison quelqu’un qui est illégalement en Suisse et qui ne veut pas partir». Mais qu’est-ce que cela signifie dans la réalité? Et si l’on voit ce que cela implique vraiment, sera-t-on toujours d’accord avec ce qu’on a voté? Ou se dira-t-on qu’on n’avait pas tout à fait vu les choses comme ça?
Enfant, quel métier rêviez-vous d’exercer plus tard?
A une époque, j’ai eu envie de devenir guide touristique. Je vois quelques parallèles avec ce que je suis aujourd’hui: le voyage, la curiosité des gens, l’envie de partager certaines connaissances…
Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans les recherches qui sont les vôtres? La recherche scientifique pure ou une forme d’engagement socio-politique?
Je ne pense pas qu’on puisse faire de la recherche en migration sans avoir un certain engagement social et politique. J’ai une curiosité de base à propos de l’être humain, comment il agit, comment il voit le monde. Mais le fait de m’intéresser en particulier à la question des migrations vient clairement d’une forme d’interpellation socio-politique. On m’a souvent demandé pourquoi je ne m’impliquais pas directement en politique. Mais pour moi, mettre à disposition du savoir, de l’interprétation, de la réflexion, c’est aussi une contribution, un engagement, en l’occurrence fondé sur une approche scientifique.
Le Pôle de recherche national «NCCR – On the move», consacré aux études de migration et de mobilité, est implanté depuis 2014 à l’UniNE. Quelles conséquences pour vous?
Auparavant, il y avait déjà des recherches importantes en la matière à Neuchâtel, mais le Pôle a permis de lancer des projets et d’engager pas mal de monde, des doctorants, des post-doctorants. Il nous permet également de nous connecter avec des chercheurs et des chercheuses d’autres universités. C’est une excellente chose pour renforcer la recherche dans ce secteur.
Un livre qui a participé à vous construire?
J’ai toujours lu énormément, les livres font vraiment partie de ma vie depuis que je sais lire. Mais j’en citerai deux. D’abord, un livre pour enfants que mes parents m’ont lu, puis que j’ai relu plusieurs fois moi-même… et que je viens de lire avec bonheur à mon fils: «Ronya, fille de brigand», d’Astrid Lindgren. Une histoire qui évoque l’indépendance, l’autonomie, mais aussi l’amitié, les liens avec la famille. Un autre livre qui m’a marquée, et qui représente assez bien l’approche d’autres ouvrages que je continue de lire, c’est «Cent ans de solitude» de Gabriel García Márquez. Des histoires de vie, de famille, mais dans un contexte socio-historique précis. Je me suis intéressée à ce genre de récits bien avant mes études, mais je pense qu’il y a un lien avec ma «curiosité sociologique».
Quel est le moteur qui vous anime dans le cadre de votre enseignement?
Transmettre cette curiosité pour la vie sociale: le fait de comprendre ce qui se passe dans une société et d’aller en profondeur, de ne pas s’arrêter à la surface des choses. Ne pas se dire simplement, ah oui, c’est comme ça, mais se questionner: est-ce que c’est vraiment comme ça? Est-ce qu’il est normal que cela soit comme ça? Est-ce qu’on pourrait voir les choses différemment? Qu’en est-il des rapports de pouvoir? Il y a un vrai travail à amener les étudiantes et les étudiants à opérer ce cheminement.
Quelle est la musique qui vous accompagne en général?
Même si j’écoute malheureusement moins de musique aujourd’hui, je continue à écouter la musique qui m’a marquée pendant mon adolescence et mes études: le rock alternatif des années ‘90, du type R.E.M., ou la britpop comme Blur, un groupe que j’ai adoré.
A Berne, vous fréquentiez assidûment la Reithalle de l’époque?
Oui! Et c’est le 3e courant qui m’a marquée, plus électronique: drum ‘n’ bass, trip hop, etc.
Retour à un champ plus académique: avez-vous le souvenir d’un moment particulièrement fort dans le cadre universitaire?
Il y en a beaucoup. Mais je dirais qu’en tant qu’étudiante, ce qui a été le plus fort, et qui correspond aux moments où j’ai le plus appris, c’est lorsque l’on traitait de questions d’actualité. J’ai suivi mes études d’anthropologie sociale pendant les années ‘90, l’époque de la guerre des Balkans. A ce moment, j’ai eu des cours sur le nationalisme. Essayer de comprendre ainsi ce qui se passait en ex-Yougoslavie, de parvenir à des éléments de réponse, même incomplets, faire ce lien entre l’actualité et des théorisations a été très important pour moi. L’autre chose, c’est d’avoir été intégrée, en tant qu’étudiante à l’Université de Berne, à des équipes de recherche. J’ai découvert alors le métier de chercheuse… qui ne m’a pas quittée depuis!