No 145, octobre 2017

Université

Publication dans Science: des néonicotinoïdes dans 75% des miels de la planète

Apiculteur
Alexandre Aebi, un des coauteurs de l’article, est aussi apiculteur
Crédit : Guillaume Perret

Trois quarts des miels produits à travers le monde contiennent des néonicotinoïdes, une famille de pesticides connue pour son rôle dans le déclin des abeilles. C’est le constat d’une étude publiée dans la prestigieuse revue Science par un groupe interdisciplinaire de l’Université de Neuchâtel (UniNE) et du Jardin botanique de la Ville de Neuchâtel. Les concentrations en néonicotinoïdes mesurées restent cependant en dessous des normes maximales autorisées pour la consommation humaine.


RTS Le 12h45. Entretien avec Alexandre Aebi, biologiste UniNE

Les néonicotinoïdes occupent le tiers des parts de marché des pesticides répandus, essentiellement sur les grandes cultures (maïs, colza, betterave) contre les insectes ravageurs dont ils altèrent le système nerveux, entraînant la paralysie et la mort. Comme ces substances passent dans le pollen et le nectar des fleurs, les abeilles les ingurgitent lorsqu’elles butinent. Or, le miel n’est autre que le résultat de la transformation, par les abeilles, du nectar en réserve de nourriture. D’où la pertinence d’y mesurer les quantités de néonicotinoïdes.

Durant cette recherche réalisée entre 2015 et 2016, les scientifiques ont analysé 198 échantillons de miels provenant du monde entier. Ils y ont mesuré la concentration de cinq néonicotinoïdes les plus couramment utilisés (acétamipride, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride et thiaméthoxame).

La collection de miels utilisée résulte d’une action de science citoyenne initiée par le Jardin botanique de la Ville de Neuchâtel. «Tous ces échantillons nous ont été offerts, explique son directeur Blaise Mulhauser. Ils ont été prélevés au hasard des voyages de plus d’une centaine de donateurs. Nous avons juste orienté nos choix de manière à privilégier des miels de petits producteurs ou au moins de régions bien déterminées, afin d’obtenir la meilleure représentativité géographique.»

Avec les quantités importantes de nectar qu’elle récolte chaque année, l’abeille a été utilisée comme un moyen élégant de sonder la présence de pesticides dans notre environnement. «Une abeille va chercher du nectar jusqu’à une distance de douze kilomètres de sa ruche, couvrant ainsi une surface considérable», commente Alexandre Aebi, maître d’enseignement et de recherche en agroécologie à l’UniNE et apiculteur.

Ce travail a été rendu possible grâce à la Plateforme neuchâteloise de chimie analytique (NPAC) de l’UniNE. «Nous disposons d’outils capables de déceler les néonicotinoïdes à l’état de traces dans des matrices complexes comme le miel. On peut quantifier ces molécules avec une excellente précision à des concentrations de l’ordre d’une part par dix milliards, voire moins», indique Gaétan Glauser, responsable de la NPAC.

Résultats : 75% des miels contenaient au moins une des cinq substances recherchées. Ce taux variait considérablement selon les régions : 86% des échantillons nord-américains étaient contaminés, suivis par les asiatiques (80%) et les européens (79%). Les plus faibles parts d’échantillons contaminés provenaient d’Amérique du Sud (57%). Dans les détails, 30% de tous les échantillons contenaient un seul néonicotinoïde, 45% en renfermaient entre deux et cinq, et 10%, quatre à cinq. Les doses mesurées ne dépassaient pas les normes autorisées pour la consommation humaine pour chaque substance prise individuellement. Mais pour deux des échantillons contenant les cinq néonicotinoïdes à la fois, le total des concentrations a dépassé cette norme.

«Nous montrons que, selon les normes en vigueur, la très grande majorité des échantillons étudiés ne posent pas de souci pour la santé des consommateurs pour les cinq pesticides étudiés», commente Edward Mitchell, professeur au Laboratoire de la biodiversité du sol et principal auteur de l’article.

La situation est toutefois plus critique pour les abeilles. «Notre étude démontre qu’elles sont exposées dans le monde entier à des concentrations de néonicotinoïdes ayant des effets importants sur leur comportement, leur physiologie et leur reproduction», précise Alexandre Aebi.

Outre la dose proprement dite des néonicotinoides individuels, il reste l’effet que peut avoir sur les organismes (abeilles, humains ou autres) la présence de plusieurs substances toxiques à la fois, communément appelée effet cocktail. La question demeure largement ouverte.

«Avec plus de 350 pesticides de synthèse utilisés en Suisse qui peuvent se dégrader en des composés plus nombreux encore, les métabolites, les combinaisons sont donc infinies, rendant toute étude complète illusoire, observe Edward Mitchell. Nous en sommes donc réduits à nous baser sur des recherches à court terme, souvent centrées sur le seul composé ‘actif’. Nous ne tenons donc compte ni des adjuvants (autres molécules incluses dans la formulation commerciale), ni de la présence de métabolites, parfois aussi toxiques si ce n’est plus que les composés ‘actifs’ eux-mêmes.»

Revue de presse
Ce communiqué a été repris par des dizaines de médias en Suisse et par des centaines de médias dans le monde.


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