Droit: réglementer l'exploitation des ressources génétiques marines
De nombreux organismes vivant dans les mers pourraient servir de base à de nouveaux produits allant des anti-inflammatoires aux médicaments contre des cancers ou le SIDA, en passant par les plastiques biodégradables. Or le statut juridique relatif à l’exploitation de ces ressources génétiques marines (RGM) dans les eaux internationales pose des problèmes politiques et écologiques. Cette question est au cœur du doctorat que vient de terminer Valérie Wyssbrod, à la Chaire de droit de l’innovation de l’Université de Neuchâtel.
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Valérie Wyssbrod: L’exploitation des ressources génétiques marines issues d’espaces situés hors des zones de juridiction nationale des États. Enjeux et perspectives entre droit des brevets, droit de la mer et droit de l’environnement
En 2010, les biotechnologies marines constituaient à l’échelle planétaire un marché de 2,8 milliards d’euros. Ce chiffre comprend non seulement les ressources génétiques exploitées dans les zones côtières, mais aussi toutes celles puisées en haute mer et dans les grands fonds marins.
Depuis le milieu des années 1990, les RGM présentent un potentiel énorme pour la conception de nouveaux produits, comme des médicaments contre les cancers et le SIDA, des antidouleurs, des anti-inflammatoires, des bioplastiques, des filtres ultraviolets, des colles résistantes à l’eau ou encore des dépolluants. Selon certaines estimations, l’augmentation du nombre de produits développés à partir des RGM serait de 4 % à 5,9 % par année et générerait 200’000 emplois.
Alors que l’exploitation des ressources génétiques terrestres est clairement réglementée à travers la Convention sur la diversité biologique et le Protocole de Nagoya, rien de tel n’existe lorsqu’on se trouve dans les eaux situées hors des territoires nationaux, soit à plus de 350 km des côtes. «Nous sommes dans une logique du premier arrivé, premier servi», constate Valérie Wyssbrod qui a réalisé sa thèse sous la direction de Daniel Kraus, titulaire de la Chaire de droit de l’innovation.
Mais cette situation est insatisfaisante. Voilà pourquoi la communauté internationale travaille, au sein de l’ONU, à la rédaction d’un nouveau traité spécifique aux RGM hors juridiction nationale. Ainsi, depuis le 27 mars et jusqu’au 7 avril, les États membres de l’ONU discutent d’un nouvel «instrument international juridiquement contraignant sur la conservation et l’exploitation durable de la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale.»
A ce stade, les points de vue divergent. Schématiquement, les pays en développement appellent à une redistribution des richesses générées grâce aux RGM, via la création d’un fonds pour les aider, le transfert de techniques marines et le partage de l’information entre programmes scientifiques. Ils revendiquent leur inclusion dans la recherche sur les RGM. Quant aux pays industrialisés, ils insistent sur l’importance de ne pas complexifier l’accès aux ressources et sur les avantages non-monétaires qui devraient contribuer à la conservation et à l’utilisation durable des ressources au travers d’aires marines protégées par exemple. Ils préconisent de rendre publique la recherche sur les RGM, comme l’a pratiquée l’expédition Tara. C’est aussi cette voie que privilégie la juriste Valérie Wyssbrod. Les avancées technologiques et l’écologie des océans lui tiennent particulièrement à cœur, elle qui a découvert les fonds marins et leurs richesses grâce à la plongée sous-marine il y a un peu moins de vingt ans.