No 138, novembre - décembre 2016

Actualité

Suisse-Union européenne - Le dossier de la recherche intimement lié au débat sur l'immigration

Interview du président de swissuniversities

Michael Hengartner
Michael Hengartner, président de swissuniversities

Dans la Berne fédérale, la question de la participation de la Suisse au programme cadre de recherche européen Horizon 2020 est intimement liée au débat sur la gestion de l’immigration et à la mise en oeuvre du nouvel article constitutionnel 121a. Le Parlement travaille à une solution d’ici à la fin décembre 2016. Président de swissuniversities, le recteur de l’Université de Zurich Michael Hengartner montre à quel point les bilatérales ont renforcé les hautes écoles suisses.

Depuis février 2014 et l’acceptation de l’article constitutionnel 121a sur l’immigration, la question de la participation suisse au programme cadre de recherche européen Horizon 2020 agite la Suisse. Après avoir été considérée comme un Etat tiers durant quelques mois, la Suisse a bénéficié d’un accord d’association partielle, permettant notamment aux scientifiques de concourir pour les prestigieux encouragements du Conseil européen de la recherche. Cet accord prend fin en décembre 2016. Si la Suisse ratifie d’ici au 9 février 2017 le protocole sur l’extension de la libre circulation des personnes à la Croatie, il se transformera en accord de pleine association à Horizon 2020. Dans le cas contraire, la Suisse redeviendra un pays tiers.

Une ratification sous condition
Durant l’été 2016, le Parlement a décidé de lier la ratification du protocole à une condition: les représentants du peuple et des cantons autorisent le Conseil fédéral à ratifier seulement si une réglementation de l’immigration qui soit compatible avec la Constitution est sur la table. Le Parlement s’est immédiatement mis au travail et le Conseil national a adopté en septembre une modification de la Loi sur les étrangers (LEtr) qui permet d’accorder une légère préférence aux travailleuses et travailleurs indigènes, dans des conditions précises et d’entente avec l’Union européenne. Cette modification de la loi permet de préserver la libre circulation des personnes. Le Conseil des Etats a entamé l’examen du projet et une décision des Chambres est attendue d’ici au 16 décembre 2016. Un référendum pourrait être lancé contre cette loi.

Depuis fin octobre, un nouvel élément vient s’ajouter au débat concernant la gestion de l’immigration en Suisse: le Conseil fédéral veut élaborer un contre-projet direct à l’initiative Rasa au cours des six mois à venir. Cette initiative, issue notamment des rangs académiques, vise à demander au peuple de revoter sur l’article constitutionnel sur l’immigration, adopté en février 2014. Le contre-projet du Conseil fédéral sera rédigé en fonction de la loi de mise en oeuvre qui sera adoptée par les Chambres fédérales en décembre.

Entretien avec le président de swissuniversities

Michael Hengartner: «Nous devons faire valoir notre point de vue»

En tant que président de swissuniversities, que pensez-vous de ce lien fait entre l’accès au programme cadre de recherche européen Horizon 2020 et la gestion de l’immigration?
Depuis le 9 février 2014, nous devons considérer la politique de la recherche dans le contexte des accords bilatéraux. On peut le regretter, mais on ne peut pas le changer.

Je trouve que c’est d’ailleurs correct, car l’accord sur la libre circulation des personnes a été aussi bénéfique aux hautes écoles que l’accord sur la recherche ou que l’accord sur l’éducation. Dans ce sens, j’espère que le Parlement pourra trouver une mise en oeuvre du nouvel article constitutionnel sur l’immigration qui reste compatible avec la libre circulation.

Justement, le temps presse pour assurer notre pleine participation à Horizon 2020!
Je peux vous assurer que les parlementaires et le Conseil fédéral en sont conscients. Il suffit de lire le procès-verbal du débat au Conseil national pour se convaincre du fait que nous sommes au sommet des priorités du politique. Mais nous devons accepter le fait que nous ne pouvons pas imposer la cadence à la politique.

Que doivent faire les hautes écoles?
Les Suisses sont fiers de leurs hautes écoles, qui figurent parmi les meilleures du continent et du monde. Les accords bilatéraux ont renforcé davantage nos hautes écoles: elles ont pu recruter des scientifiques de talent dans le monde entier grâce la libre circulation des personnes, participer de façon compétitive au plus grand programme cadre de recherche au monde et proposer à leurs étudiants des possibilités attrayantes de semestres à l’étranger. Après l’acceptation de l’initiative contre l’immigration de masse, nous avons dû prendre acte du fait que la population suisse ne connaissait pas assez les effets bénéfiques des accords bilatéraux sur la formation et la recherche en Suisse. Les hautes écoles ont une part de responsabilité là-dedans, car elles ont manqué l’occasion de mettre en valeur ces bénéfices pour l’économie et la société suisses. Nous devons corriger cela.

Est-ce le rôle des hautes écoles de mettre en valeur les bénéfices des accords bilatéraux?
La loi nous donne le mandat d’être excellents au niveau international, de coopérer avec des écoles suisses et étrangères et de former nos jeunes avec les meilleurs scientifiques. Nous sommes légitimés à dire ce dont nous avons besoin pour remplir notre mandat et à l’heure actuelle, ce sont les accords bilatéraux et un financement stable et durable. Nous savons que le peuple votera à nouveau sur des objets importants pour les accords bilatéraux, au plus tard lors de la votation sur l’initiative Rasa et sur le contre-projet direct du Conseil fédéral. Nous devons faire valoir notre point de vue dès aujourd'hui.

Si un référendum est lancé contre la loi de mise en oeuvre, le Conseil fédéral va-t-il quand même ratifier le protocole sur la Croatie?
Il aura de bonnes raisons de le faire à mon sens. D’une part, le Conseil fédéral et le Parlement savent que le statut d’Etat tiers aura des conséquences néfastes sur l’attractivité de la place scientifique suisse. Nous savons aussi que le statut d’Etat tiers affaiblira notre économie à terme. L’incertitude qui plane sur le pôle de recherche suisse laisse d’ores et déjà des traces profondes.


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