No 188, avril 2023

Actualité

Les marchés itinérants sous l’œil des anthropologues

Marché à Neuchâtel

Marché à Neuchâtel
Crédit photo: Moving Market Places Team

L’étude sociologique Moving Market Places s’intéresse au quotidien de celles et ceux qui exploitent des stands sur les marchés itinérants de quatre pays (Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas et Suisse). Deux anthropologues de l’Université de Neuchâtel (UniNE) y ont pris part. Basée sur de nombreux entretiens avec des marchand-e-s à Neuchâtel et à Zurich, leur contribution note la diversité des compétences exigées pour ce métier, ainsi que l’importance du label «local» pour attirer la clientèle.

Les places de marchés sont des lieux importants d’échange, permettant à des personnes issues de différents milieux socio-économiques et culturels de se rencontrer de manière spontanée. «Ce projet de recherche, et c’est une première, s’intéresse aux pratiques et au quotidien des marchande-s itinérant-e-s», indique Janine Dahinden, professeure d’études transnationales à l’UniNE. Elle a dirigé depuis 2019 le volet helvétique du projet européen Moving Market Places avec la contribution de l’anthropologue sociale Joanna Menet, alors post-doctorante à l’UniNE.

«Il y a deux éléments frappants parmi nos résultats, poursuit Janine Dahinden. En premier lieu la diversité des savoirs exigés par le métier de marchand itinérant.» Il faut être non seulement capable de gérer les stocks de marchandises, fidéliser la clientèle, mais aussi savoir planifier les déplacements, les emplacements, le montage et le démontage des stands. A quoi s’ajoute aujourd’hui l’utilisation d’internet pour passer les commandes de produits. Et tout cela à l’échelle souvent familiale où tout un réseau de personnes œuvre en coulisses derrière l’exploitant-e d’un stand.

L’importance du label «local» est un autre des aspects frappants des marchés itinérants. «Si l’on mentionne sur l’étal qu’une denrée est suisse, produite en Suisse, c’est synonyme de qualité, relève la chercheuse. Et si l’on inscrit en plus le nom du producteur, on augmente encore la chance de la vendre.» Cette recherche de proximité du produit va de pair avec la recherche d’une proximité relationnelle des marchand-e-s avec les client-e-s. «Les vendeurs appliquent différentes stratégies pour créer non pas des rencontres occasionnelles, mais des relations durables. Le local émerge à travers ces tactiques qui visent à lier les clients à des vendeurs particuliers», écrivent Joanna Menet et Janine Dahinden dans un article scientifique relatant leur travail.

Mais cette notion de «local de proximité» peut aussi se transformer en «local d'ailleurs». C’est notamment le cas de marchand-e-s provenant d’autres pays, synonyme pour la clientèle d’exotisme et de dépaysement sans partir de chez soi. Et cela lie le terme «local» avec la mobilité de population migrante venue faire commerce des produits de leur région d’origine. Leurs connaissances de l'histoire du lieu de provenance donnent à un produit d'origine étrangère une authenticité comparable à celle d’une marchandise élaborée en Suisse. 

Les marchés helvétiques enfin se distinguent de ceux des autres villes européennes. Il y a d’abord la question du prix : en Suisse, il revient souvent plus cher d’y faire ses courses sur les marchés que dans les supermarchés, alors qu’au Royaume-Uni c’est moins le cas. Alors pourquoi en Suisse continue-t-on de les fréquenter ? «C’est lié à la gentrification des centres-villes, où toute une génération sensible aux valeurs écologiques et à la proximité des produits fréquente les marchés qui répondent à leur demande de consommation. Cela assure le futur.» La diversité de l’approvisionnement des étals est un autre point de différence. Dans les autres pays, on trouve souvent de tout sur marchés itinérants, des aliments jusqu’aux vêtements en passant par les articles de ménages. En Suisse, on préfère séparer les types de marchés. Un premier réservé à l’alimentaire et aux produits frais, un deuxième aux vêtements et à d’autres produits non alimentaires.

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