No 185, décembre 2022

Actualité

Le principe de précaution a fait évoluer la sécurité des aliments

Illustration sécurité alimentaire
Le principe de précaution a été appliqué face à la maladie de la vache folle dans les années 1990.

Référence bibliographique :
Mari Viro Moser, La mise en œuvre du principe de précaution en droit de la sécurité des aliments de l'Union européenne et de l'Organisation mondiale de commerce, thèse de doctorat, Faculté de droit, Université de Neuchâtel, 2022. Publication sur Libra

Dans sa thèse de doctorat en droit soutenue à l’Université de Neuchâtel, Mari Viro Moser analyse les cas d’application de ce principe qui, au niveau de l’Union européenne (UE), ont marqué l’évolution des réglementations sur les denrées alimentaires et affecté le commerce international et le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Le commerce des aliments est un secteur sensible. Rien de plus logique dès lors que sa sécurité soit une priorité pour des organisations internationales majeures telles que l’UE ou l’OMC. En cas de crise sanitaire, le principe de précaution permet de gérer une situation comportant des risques sur lesquels il existe une incertitude scientifique. «Avant le COVID, la plupart de crises sanitaires de ces dernières décennies en Europe étaient dues aux aliments», rappelle Mari Viro Moser, qui travaille actuellement dans les affaires internationales de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).

L’affaire de la vache folle dans les années 1990, résultant d’une épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), est à l’origine d’une application emblématique de cet outil juridique dans le domaine agro-alimentaire. La crainte des scientifiques sur un éventuel lien entre l’ingestion de la viande contaminée et l’apparition de la variante humaine de l’ESB, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, a décidé les gouvernements d’actionner le principe de précaution.

L’UE avait alors notamment adopté un embargo sur la viande en provenance du Royaume-Uni, afin d'empêcher la diffusion de cette maladie dans les autres États membres. Suite à cette crise, l'UE a prononcé une interdiction d'utiliser les farines animales dans l'alimentation des élevages sur tout son territoire, alors que certains Etats membres avaient interdit leur utilisation déjà dix ans auparavant. Cette interdiction est toujours en vigueur, à quelques exceptions et assouplissements près. Dans d’autres parties du monde, les farines issues des carcasses d’animaux broyés sont autorisées plus largement que dans l’UE. «Cela montre que les approches vis-à-vis des risques alimentaires (ou sanitaires) varient d’une société à l’autre selon les expériences, les éléments culturels et éthiques ou encore selon les intérêts politiques et économiques.»

En résumé, les années 1980 et 1990 ont permis de prendre conscience que la libre circulation des produits ne pouvait plus être le principe prioritaire dans le domaine des denrées alimentaires.

Quant à la première affaire où le principe de précaution a été analysé de manière approfondie par les juges européens, elle concernait la résistance aux antibiotiques. C’est l’affaire Pfizer, du nom de l’entreprise pharmaceutique qui s’était opposée en 2002 à l’interdiction de l’utilisation d’un de ses antibiotiques comme facteur de croissance pour animaux. L’interdiction visait à éviter qu’une résistance des animaux à cet antibiotique ne se transmette à l’homme, avec des risques de complication pour la médecine humaine.

L’incertitude concernait tant la transmission de la résistance que ses éventuelles conséquences sur la médecine humaine. «Pfizer avait ici invoqué la violation du principe de précaution en raison d'absence de fondement scientifique suffisant, indique la juriste, mais les juges ont donné raison aux institutions européennes.» Le principe exige en effet une évaluation scientifique préalable qui permet d’étayer suffisamment les risques invoqués. Ceux-ci ne peuvent donc pas être purement hypothétiques. «Dans l’affaire Pfizer, le fondement scientifique était - à l’époque - faible, mais si on regarde avec le recul, 20 ans après cet arrêt, la résistance aux antibiotiques est devenue une urgence sanitaire absolue et les connaissances scientifiques ont bien évolué. Or, les décideurs doivent agir avec les connaissances du moment et c’est souvent un pari difficile».

À noter enfin qu’une mesure de précaution ne doit pas forcément prendre la forme d’une interdiction. Des étiquetages plus clairs, des décisions d'allocations de fonds pour une recherche, des actions visant à guider les consommateurs mais sans les obliger (notion de nudging) constituent autant de pistes pour appliquer la précaution et pour améliorer la sécurité alimentaire. Dans le droit européen, le principe de précaution s'exprime parfois par une autorisation de mise sur le marché lors de laquelle la charge de la preuve est renversée. «C’est au producteur de démontrer l'innocuité de son produit et donc l'absence de risque pour la santé ou pour l'environnement. C'est le cas notamment dans le domaine des produits phytosanitaires ou des OGM.»

Dans ces domaines, il y a une différence réglementaire assez importante entre l’UE et certains de ses partenaires commerciaux (ex. USA, Canada). Le débat se situe souvent sur l’existence ou non d’un risque suffisamment étayé pour la santé – condition nécessaire pour l’application du principe de précaution. Mais les tensions sont aussi dues à des facteurs non scientifiques : «Dans l’UE, la réglementation autorise explicitement la prise en compte de certaines considérations éthiques, sociales, culturelles ou encore celles liées au bien-être des animaux. Je pense ici aux domaines des OGM ou des aliments issus du clonage, alors que dans d’autres ordres juridiques et dans le cadre des standards internationaux, les considérations non scientifiques ne sont que très peu reconnues», indique Mari Viro Moser.

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