No 152, juin 2018

Université

"Hoo", quand les chimpanzés parlent à voix basse

Chimpanzés

Le chimpanzé possède une quinzaine de cris différents, tous servant une cause particulière. Parmi ces cris, la vocalisation «hoo» se caractérise par un son faible et aigu, utilisé dans trois contextes principaux: le voyage, le repos et l’alerte. Des chercheurs de l’Université de Genève (UNIGE), de Neuchâtel (UniNE) et de l’Institut Max Planck d’Anthropologie Evolutionnaire de Leipzig se sont demandé si cette vocalisation variait selon le contexte dans laquelle elle était exprimée. Ils ont découvert qu’en effet, chaque «hoo» se prononce différemment en fonction du contexte dans lequel se trouve le chimpanzé, démontrant qu’il souhaite transmettre une information précise à ses congénères se trouvant à proximité. Ces résultats sont à lire dans la revue Royal Society Open Science.

Le chimpanzé dispose d’un système de communication puissant qu’on entend de très loin. Pourtant, parmi la quinzaine de vocalisations qu’il produit, une se détache : le «hoo». Aigu, de faible intensité, le «hoo» est un signal de courte distance, réservé aux singes qui se trouvent à proximité. Des études précédentes ont démontré que ce son était employé par le chimpanzé dans trois contextes différents: le repos (rest hoo), l’alerte (alert hoo) et le voyage (travel hoo). Mais la vocalisation «hoo» varie-t-elle en fonction de chaque contexte ?

A chaque «hoo» sa durée et sa fréquence
Après avoir passé deux ans dans la forêt Budongo en Ouganda, Thibaud Gruber, chercheur au Centre interfacultaire des sciences affectives (CISA) de l’UNIGE, a récolté plusieurs centaines d’enregistrements de «hoo» qu’il a compilés avec ceux de ses collègues de l’UniNE et de l’Institut Max Planck. «L’idée était de cibler uniquement cette vocalisation afin d’observer d’éventuelles variations de durée ou de fréquence permettant de distinguer les trois contextes dans lesquels le «hoo» est employé», expose Thibaud Gruber.

Chaque «hoo» a été étudié en fonction des variations de la fréquence, de la durée, de l’amplitude et du laps de temps entre deux unités de son. Ces variables ont ensuite été reliées dans des modèles d’analyses multivariées afin de caractériser les paramètres qui ont le plus d’influence sur le signal émis par le chimpanzé. «Nos résultats montrent clairement que chaque «hoo» peut être distingué en fonction du contexte qu’il exprime, s’enthousiasme Thibault Gruber. Le rest hoo est caractérisé par une vocalise plus longue et une seule entité de son. L’alert hoo est celui qui a la plus haute fréquence et le travel hoo se distingue par une faible distance entre deux sons.» Les chercheurs ont ainsi démontré qu’au sein même d’un sous-type de vocalisation, une distinction fine s’opère également en fonction de ce que le singe veut exprimer.

A chaque «hoo» son intentionnalité
«Cette recherche nous montre que le chimpanzé souhaite réellement indiquer ce qu’il veut faire aux congénères qui se trouvent à proximité de lui, le «hoo» résume son état d’esprit», continue Thibaud Gruber. Le rest hoo signifie qu’il veut rester à l’endroit où il se trouve, le travel hoo signale que le singe souhaite s’en aller et invite qui veut à le suivre, enfin l’alert hoo prévient qu’on peut s’approcher mais qu’il faut faire attention, par exemple à un serpent. Le «hoo» influe ainsi directement sur le comportement des autres singes. «Si l’on passe des playback de ce cri à des chimpanzés, nous observons que leur attitude change en fonction du «hoo» qu’ils entendent, révélant l’importance des variations de cette vocalise», précise le chercheur genevois.

Un langage contrôlé et émotionnel
Cette étude montre qu’il y a une réelle intentionnalité derrière le langage du singe, liée à son état d’esprit du moment. Il ne s’agit donc pas de sons incontrôlés émis sous le coup de l’émotion. «En effet, si ce système de vocalisations n’était que pure émotion, l’alert hoo serait puissant et constitué de plusieurs unités très rapprochées, alors que c’est justement l’inverse, un son discret dont les différents «hoo» sont espacés», illustre Thibaud Gruber. Ces résultats ouvrent la voie à une sémantique du langage du chimpanzé.


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