No 141, avril 2017

Université

L'étranger à l'affiche en 120 tableaux

L'étranger à l'affiche

Droit d’asile, naturalisation, libre circulation des personnes: les étrangers sont souvent au cœur des votations suisses. Pour son doctorat qu’elle vient d’achever au Forum suisse pour l’étude des migrations et de la population, Christelle Maire a passé en revue 120 affiches de votation. Publiées entre 1965 et 2014, elles mettent en scène la question de l’étranger en Suisse et, par effet de miroir, celle de l’identité nationale helvétique.

La permanence du débat sur les étrangers et leurs représentations iconographiques existent depuis plus d’un siècle. Mais les images se sont radicalisées ces dernières années, notamment par les campagnes de l’UDC, constituant des attaques visuelles de plus en plus violentes. Pour Christelle Maire, un cap a été franchi dans la stigmatisation de l’étranger avec cette affiche de l’UDC de 1999 pour l’initiative «contre les abus dans le droit d'asile». On y voit un drapeau suisse derrière lequel se trouve un homme à la mine patibulaire portant moustache, gants et lunettes noires. L’individu surgit en déchirant la croix blanche.

«L’utilisation des stéréotypes est une constante dans ces affiches, note la sociologue. Pour la majorité des partis, l’étranger est un immigré du sud, basané, de type prolétaire à moustache. Parmi les images les plus récentes que j’ai analysées, il y a celle contre la naturalisation facilitée de la troisième génération, sur laquelle une femme en burqa symbolise l’altérité absolue, comme si elle était un épouvantail qui cristallise toutes les peurs. Quant au citoyen suisse, il est souvent représenté sous la forme d’un petit armailli en costume qui doit préserver son territoire de ‘l’envahisseur étranger’.»

Malgré la violence de certaines représentations, Christelle Maire observe que peu d’actions en justice ont abouti. La liberté d’expression l’emporte sur l’orientation du message qui pourrait tomber sous le coup de la loi antiraciste, à de rares exceptions près. Ainsi en mars 2016, un verdict tombait au sujet de la version allemande d’une affiche de l’UDC bernoise sur laquelle on lisait «Les Kosovars poignardent les Suisses». Le texte faisait allusion à une agression au couteau dont avait été victime un candidat de l’UDC au Grand Conseil bernois. Le tribunal a cependant reconnu que l’affiche portait atteinte à la dignité humaine, dans la mesure où on pouvait déduire du texte que tous les Kosovars sont des criminels. Deux cadres de l’UDC avaient alors été condamnés à des amendes avec sursis.

«Globalement, je constate une violence symbolique sans précédent dans ces affiches politiques, relève Christelle Maire. Au départ de ma thèse, je voulais surtout voir comment évolue l’esthétique iconographique autour du thème de l’étranger. Mais j’ai mis le doigt sur un contexte beaucoup plus large, touchant au fonctionnement politique de la Suisse. Ces images sont des portes ouvertes sur une réflexion sociétale globale.»

Ce travail de thèse fait suite à l’exposition «L’étranger à l’affiche - Altérité et identité dans l’affiche politique suisse 1918 – 2010» qui avait tourné en Suisse romande entre 2013 et 2014. Réalisée dans le cadre du programme de Neuchàtoi 2013 par Francesco Garufo, de l’Institut d’histoire, et Christelle Maire, l’exposition rassemblait 52 affiches politiques autour de quatre grands thèmes : ouverture et fermeture face à l’étranger, économie et démographie, diversité culturelle, et droits humains. Un livre sous le même titre a également été publié aux Editions Alphil.


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