No 137, octobre 2016

Université

Singes en alerte: les mâles se fient aux femelles

Singe
Photo: Florian Möllers / Tai Monkey Project

Chez les cercopithèques diane, les mâles se fient davantage aux signaux d’alerte de leurs congénères femelles qu’à leurs propres perceptions. Une primatologue de l’Université de Neuchâtel démontre pour la première fois chez des singes que les cris d’alerte au prédateur obéissent à des règles différentes selon le sexe des individus. Ses résultats sont publiés dans la revue Current Biology.

Reportage RTS

Les cercopithèques diane ont la particularité d’émettre des cris d’alerte dont la structure vocale varie selon le sexe des individus. En cherchant la cause de ce dimorphisme, Claudia Stephan, post-doctorante à l’Université de Neuchâtel, a pu mettre en évidence que mâles et femelles annonçaient un danger pour des motifs différents. Tandis que les femelles réagissent directement à la présence d’un prédateur, les mâles, eux, lancent leur appel uniquement pour répondre aux femelles.

Les expériences se sont déroulées au Centre suisse de recherches scientifiques en Côte d’Ivoire, sous la supervision du professeur Klaus Zuberbühler, directeur du Laboratoire de cognition comparée de l’UniNE. Elles consistaient d’abord à simuler la présence d’un prédateur, aigle ou léopard, en diffusant le cri de l’animal concerné, puis à enregistrer les vocalisations des singes, sachant qu’à chaque prédateur correspond une vocalisation bien spécifique. «Première surprise: les mâles attendaient que les femelles lancent un cri d’alerte avant de relayer le signal, note Claudia Stephan. Et une fois que les mâles se mettent à crier, les femelles cessent leurs vocalisations.»

Mais le plus surprenant reste la réaction des singes mâles quand les expérimentateurs font suivre le cri d’un léopard d’un signal d’alerte trompeur du cercopithèque femelle, signifiant «attention aigle». Les mâles vont systématiquement relayer le signal de la femelle, soit dans ce cas «attention aigle». Et cela, même s’ils ont entendu que la menace réelle était un léopard. Les mâles suivent donc invariablement le jugement de la femelle, en dépit de leur propre perception. La réponse suit la même logique quand on diffuse le cri d’un aigle suivi d’un signal «attention léopard».

Quant aux femelles, dont les cris étaient également enregistrés au cours des mêmes expériences, elles restent constantes dans leurs vocalisations. Le signal qu’elles émettent se réfère toujours au prédateur simulé, même si elles entendent un cri d’alerte différent de la part de leur mâle. Claudia Stephan explique ces différences liées au genre: «Les cris des femelles ont pour objectif de protéger la famille en appelant les mâles à la rescousse.»

En effet, les mâles perçoivent le cri des femelles comme un « appel aux armes ». Ils affichent alors le même comportement physique que s’ils se trouvaient en face du prédateur, de même qu’un rôle de protecteur du groupe de singes, femelles et petits compris. Par ce comportement, les mâles rassurent les femelles qui lancent l’alerte. Ils leur montrent qu’ils sont capables d’assumer la protection du groupe. Et tant qu’ils ne le font pas vocalement, les femelles continuent d’émettre le signal d’alerte, jusqu’à la réponse appropriée du mâle. Ces résultats démontrent que mâles et femelles dépendent les uns des autres face à un prédateur, tout en essayant de manipuler le comportement du partenaire pour en tirer profit.

Ces observations restent pour l’instant uniquement valables pour les cercopithèques diane. «J’imagine cependant que ces vocalisations différenciées sont plus répandues, nuance Claudia Stephan. Il faudrait le vérifier sur d’autres primates présentant des structures sociales similaires de harem (un mâle reproducteur pour quelques femelles).»

Référence scientifique: Claudia Stephan & Klaus Zuberbühler (2016), Persistent females and compliant males coordinate alarm calling in Diana monkeys, Current Biology.

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