Maison trop chère : à qui la faute ?
La construction d’un immeuble occasionne souvent des coûts supérieurs au budget. Mais qui est responsable lorsque le devis n’est pas respecté ? Une thèse qui vient d’être soutenue à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel (UniNE) dresse l’état de la jurisprudence et confronte les différentes doctrines suisses et allemandes sur ce sujet. Elle décrit également les conditions pour qu’un maître d’ouvrage puisse prétendre à des compensations de la part de son architecte.
Les dépassements du devis de l’architecte font l’objet de nombreux litiges devant les tribunaux. Pourtant, il existe peu de contributions scientifiques sur le sujet. Le dernier travail d’envergure en Suisse remonte à plus de 20 ans. Il n’existait jusqu’à ce jour pas d’étude détaillée en français dans un domaine où la doctrine n’est pas unifiée, mais au contraire sujette à de nombreuses controverses. «L’originalité de ma thèse, explique Yann Férolles, était d’analyser les composantes purement techniques d’un devis pour montrer les causes et les conséquences en cas de dépassement. J’ai aussi cherché à mettre en question le calcul du Tribunal fédéral lorsque l’architecte doit répondre d’un dommage, ainsi qu’à proposer des solutions nouvelles.»
Il faut toutefois savoir que l’architecte n’est pas forcément responsable en cas de dépassement. Cela tient aux caractéristiques d’un devis, qui est un pronostic sur les coûts prévisionnels d’un travail effectué par des tiers. Comme il existe une incertitude sur les données qui figureront dans la facture finale, en particulier le volume des prestations et leur prix, une marge de tolérance est admise. Néanmoins, l’architecte ne peut s’en prévaloir de manière absolue que s’il a informé à temps et dûment le maître d’ouvrage sur l’existence de cette marge et sa portée. Ce principe s’applique même lorsque le dépassement du devis est inférieur à 10%, chiffre habituellement admis. La thèse montre également que, puisque le devis est avant tout un renseignement, l’architecte qui ne remplit pas son obligation de renseigner se rend responsable d’une fausse information. Conséquence : il doit réparer le dommage résultant de la confiance déçue subie par le maître d’ouvrage qui a tenu le devis pour exact.
Yann Férolles précise que « le calcul du dommage est la question la plus difficile et la plus controversée en pratique. Est-ce que l’architecte répond seul du surcoût ou est-ce que le maître d’ouvrage doit en prendre une partie à sa charge et pour quel montant ? » En effet, on ne peut pas simplement tenir compte de la plus-value objective de la construction qui résulte du dépassement et la faire supporter par le maître d’ouvrage, car ce n’est pas lui qui l’a voulue.
Pour rédiger sa thèse, qui a été reçue avec la mention magna cum laude et est intitulée «Le dépassement du devis de l'architecte – Analyse de droit suisse de la responsabilité contractuelle», l’auteur ne s’est pas contenté de consulter la jurisprudence ou la littérature consacrée à son sujet. Il s’est également appuyé sur sa pratique d’avocat dans une étude spécialisée en droit de la construction et sur un important travail de terrain qui lui a permis d’assister à des conférences données par des ingénieurs ou des architectes.
Titulaire du brevet d’avocat genevois depuis 2008, Yann Férolles est notaire stagiaire dans une étude valaisanne. Il a co-rédigé plusieurs ouvrages sur le contrat d’architecte et a rédigé sa thèse sous la direction du professeur Blaise Carron, qui enseigne le droit des obligations à l’UniNE et exerce comme avocat spécialisé dans le droit de la construction et de l’immobilier.