Des amibes témoins de l'histoire des volcans
Les coquilles de certaines amibes sont constituées de microscopiques cendres volcaniques connues pour être des marqueurs de l’histoire des volcans. Des chercheurs des universités de Neuchâtel, de Concepción (Chili), de Bourgogne Franche-Comté (F) et de Lille (F) ont fait cette découverte au Chili. La méthode permettrait de mieux reconstituer l’histoire des éruptions dans d’autres régions volcaniques du monde, allant jusqu’à un rayon de plusieurs centaines de kilomètres du cratère. Ce travail vient d’être accepté par The European Journal of Protistology.
Les éruptions volcaniques sont connues pour leurs effets dévastateurs locaux et leur influence sur le climat. Etudier leur histoire permet d’affiner les modèles servant à prédire les éruptions à venir et leurs conséquences. Mais les éruptions passées, en déposant des couches de cendres sur le paysage, se révèlent aussi de précieux marqueurs chronologiques pour les études paléo-environnementales.
Avec ses quelque 90 volcans actifs, le Chili constitue un terrain idéal pour les volcanologues. C’est là que le chercheur chilien Leonardo Fernández, au bénéfice d’une prestigieuse bourse de doctorat de son pays natal, mène sa thèse sous la supervision d’Edward Mitchell, directeur du Laboratoire de la biodiversité du sol de l’Université de Neuchâtel et dont les amibes sont un des champs d’étude. Son idée et celle du premier auteur de l’article scientifique, Maxence Delaine, doctorant à l’Université de Lille (F), est que les amibes pourraient servir d’indicateurs de l’activité volcanique du passé, même dans des zones relativement éloignées d’un volcan.
«Cette méthode pourrait permettre de retrouver de tels marqueurs plus loin des sources volcaniques, voire même de découvrir par exemple des traces d’éruptions islandaises jusqu’en Suisse, indique Edward Mitchell. On pourrait ainsi mieux comparer d’une part l’impact des éruptions dans différentes régions, et, d’autre part, mieux dater les impacts des changements climatiques passés ou ceux des activités humaines.»
La méthode repose tout d’abord sur la présence de cendres volcanique appelées tephra qui, en matière de datation, se révèlent à la fois plus précises et moins onéreuses que le célèbre carbone 14. Mais une limite existe. En effet, s’il est facile de détecter les tephra proches des cratères grâce aux couches épaisses et bien visibles qu’ils forment, l’opération s’avère bien plus difficile à mesure qu’on s’éloigne de la source.
Heureusement, ces cendres existent aussi sous forme de particules plus petites, d’un diamètre inférieur à 125 microns, nommées cryptotephra, en référence à leur caractère caché, invisible. Lors des éruptions, ces petites particules peuvent être projetées jusqu’à un millier de kilomètres ou plus de leur source en fonction des vents.
Or, les analyses effectuées par Maxence Delaine ont montré que les coquilles de certaines amibes prélevées par Léonardo Fernández et Edward Mitchell dans les mousses et les humus du sud du Chili étaient constituées de cryptotephra. «Ces amibes utilisent des particules minérales de leur environnement pour construire leur coquille, sans discerner la nature minéralogique de ces particules, explique Edward Mitchell. Par cette concentration dans la coquille, les particules peuvent être analysées bien plus facilement en isolant quelques amibes plutôt qu’en analysant l’échantillon brut où le signal des particules de cryptotephra sera dilué.»
Les pigeons de Cendrillon
Cette découverte rend possible la mesure de la teneur en cryptotephra de n’importe quel échantillon de sol, de tourbière ou de sédiment lacustre. Ceci permet d’étendre les datations d’origine volcanique, plus précises que le carbone 14, à des zones même passablement éloignées des volcans.
«Les amibes apportent la même aide dans l’identification de la teneur en tephra dans le sol que les célèbres pigeons aidant Cendrillon à trier les lentilles que les vilaines filles de sa marâtre avaient renversées dans la cendre», conclut avec malice Edward Mitchell. Une image poétique qui a même été retenue dans le titre à la publication scientifique : les pigeons de Cendrillon dans le monde microbien…
Pour en savoir plus : Delaine, M., Fernández, L.D., Châtelet, E.A., Recourt, P., Potdevin, J.-L., Mitchell, E.A.D., Bernard, N., «Cinderella’s helping pigeons of the Microbial world: the potential of testate amoebae for identifying cryptotephra», European Journal of Protistology (2016) http://dx.doi.org/10.1016/j.ejop.2016.05.003
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