Zoé, 854 pages.
Inutile de schneuquer dans les librairies: on vous enverra aux pives si vous demandez le «Dictionnaire suisse romand». L'objet existe pourtant mais ne sera livré à l'enthousiasme populaire que le 6 décembre. Encore un recueil de panosse, bobet, et autres chenis? Eh bien non. Car si le nombre de vocables traités - un millier - ne le distingue pas de ses prédécesseurs, le DSR, uvre collective sous la direction d'un dialectologue neuchâtelois, Pierre Knecht, et d'un lexicographe québécois, André Thibaut, frappe fort au niveau de la recherche étymologique et de l'illustration par l'exemple. «Raclette», au hasard, se paie trois grosses savoureuses pages. Tous les écrivains de ce pays, tous les journaux, y compris les feuilles carnavalesques, sont mis à contribution pour étayer l'usage de chaque romandisme. Le bon peuple n'est pas oublié puisque des propos recueillis dans la rue ou le train voisinent avec des résultats d'enquêtes poussées.
A l'arrivée, guère de surprise: les classiques du parler romand - nell, poutze, éclaffe-beuses, dérupe, planelle et autres porreaux - sont bien là. Tout de même, qui pouvait soupçonner «autogoal»? Les français ne connaissent pourtant que cette déprimante périphrase: but contre son camp. Merci donc au dialecte toto et à son «aigegool» mais gare pourtant au syndrome rösti. Dans une grosse proportion, l'étymologie attribue aux romandismes une source non germanique - patois, provençal, italien, archaïsmes français, etc. - et la plupart, y compris panosse, essaiment largement au-delà de nos frontières. Tellement au-delà que les auteurs ont même surpris une journaliste du Monde en train de cicler en pleine chronique. Reste que le terrain se trouve largement occupé par les termes culinaires, administratifs ou ménagers. Face à cette pauvreté relative des entrées - seulement deux à la lettre «Z», zoccoli, variante de soccoli, et zwieback -, I'abondance des citations fera la gloire de l'ouvrage avec, dans leur isolement, un côté surréaliste qui promet de franches rigolades. Que ce soit du Chessex - «Je me racle la gorge, je rebois une giclée de cognac et j'y vais» -, du NQ pur sucre - «Des bonbons sont en train de mourir. La fraise Tagada par exemple, cette pâte à mâcher recouverte de sucre que l'on aimait éclaffer sous ses molaires à la rentrée 1973, eh bien la Tagada risque de disparaître d'une semaine à l'autre» -, de l'envolée sportive - «L'horloge indiquait 59'59 au moment où le puck franchissait la ligne de but du brave portier champérolain» -, du parler instantané - «Le concierge est un brave homme mais sa femme est une gerce» - ou encore du recueil de witz - «Pour tester la résistance de ce pont, il n'y a qu'à faire descendre tous les Ormonans, des plus petits jusqu'aux plus gros, les aguiller tous ensemble sur ce pont. Si le pont tient, c'est une belle uvre; si le pont passe en bas, c'est une bonne uvre.»
Même les définitions parfois semblent prises de folie douce, sans que les auteurs puissent être qualifiés de badadias, de roillés ou, pire encore, de bedoumes - terme qui viendrait de «badaud» et qui désigna d'abord, à Neuchâtel, une fille sale. Lisons par exemple celle de «baitchai»: «Charivari du Mardi gras, où un groupe de personnes déguisées déambule dans les rues (essentiellement la nuit) en faisant de grands bruits discordants avec des instruments hétéroclites.»
LAURENT NICOLET
Le Nouveau Quotidien
Jeudi 27 novembre 1997