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Sorti de presse, le Dictionnaire romand dévoile quelques surprises En France, on panosse aussi! |
Loin de promouvoir une "variété nationale suisse" de la langue française, le Dictionnaire suisse romand (DSR) qui vient de paraître aspire à en montrer l'usage contemporain réel. Principale découverte (ou confirmation): à l'exception des germanismes et des termes politico-administratifs (par ex. boursier, greffe), nous partageons bel et bien nos régionalismes avec nos voisins français. La panosse apparemment bien helvétique est ainsi également utilisée sur une très grande aire du Centre-Est et du Sud-Est français. Le mot est relevé notamment dans les patois de Saône-et-Loire, du Doubs, de Savoie, de l'Ain, du Rhône, de la Loire, de l'Isère de la Drôme, de l'Ardèche et de la Provence. II en va de même pour beaucoup d'autres expressions.
DES DÉFINITIONS COMPLÈTES
Le dossier géographique et historique qui accompagne chaque définition (très complète) permet de saisir les liens multiples que le français de Suisse romande entretient avec les patois, le français archaïque, le français des régions de France et de la francophonie en général. De nombreuses citations tirées de textes contemporains qui vont de la langue orale à la littérature et de la presse au registre administratif illustrent plus d'un milliers de mots pris sur le vif. "Si nous ne pouvons prétendre à l'exhaustivité, nous nous sommes tenus à un choix représentatif des mots inventés en Suisse romande. II est difficile d'être complet dans ce genre de recherche. Nous espérons toutefois ne pas en rester là", explique le Montreusien Pierre Knecht, directeur de publication.
Le DSR est, pour la Suisse, le premier résultat concret d'un important projet de coopération internationale entre pays francophones. Grâce au soutien de la Confédération, le partenariat suisse a pu être mis en place au Centre de dialectologie et d'étude du français régional de l'Université de Neuchâtel, avec mandat d'observer et de décrire les usages lexicaux des Suisses romands en cette fin de siècle.
ROMANDS PEU NOVATEURS
Pour la réalisation de cet ouvrage - le premier dictionnaire différentiel scientifique de la francophonie - il a fallu débusquer le langage romand au sein d'une population soucieuse de ne pas se singulariser linguistiquement par rapport aux Français. "C'est une langue difficile à cerner, commente Pierre Knecht. Pour y parvenir, nous avons effectué une enquête auprès de particuliers à partir d'une liste déjà constituée de régionalismes pour savoir si le locuteur les connaissait. I1 a également fallu parcourir des ensembles de textes écrits."
Ces "écarts" romands de langage proviennent d'archaïsme, d'innovations, d'emprunts au patois et aux langues voisines. On remarquera cependant que le Romand est peu novateur. Pourquoi: "Les Romands sont de bons élèves, répond Pierre Knecht. Ils ont toujours voulu apprendre le 'bon français'. Ce qui explique pourquoi ils n'osent pas trop intervenir. Contrairement aux Québécois, qui, eux, se sentent davantage propriétaires de la langue française."
Cet attachement des Romands pour le "bon français" se retrouve dans de nombreuses expressions qui ont vieilli en France et qui sont restées vivantes ici (heurter pour frapper). "Notons qu'il y a également une proportion importante du lexique régional qui est dû à la transposition, en français, de termes dialectaux. Le cas de chotte pour abri est exemplaire", précise Pierre Knecht.
LES GERMANISMES QUI SE CACHENT
Quant aux germanismes, il y en a qui ne parviennent pas à masquer leur origines (poutzer, stamm) à côté des emprunts plus discrets (chablon, tabelle).
Relevons que ce dictionnaire conçu et rédigé par André Thibault comprend encore un index des mots et des emplois suisses romands attestés ailleurs dans la francophonie (en Afrique aussi!) ainsi qu'une liste des féminisations des titres et professions. L'ouvrage a également été relu dans des perspectives wallone et québecoise afin d'y apporter des éclairages différents. Claude BÉDA
Le DSR, conçu et rédigé par André Thibault sous la direction de Pierre Knecht, est actuellement en vente dans les librairies de suisse romande au prix de lancement de 58 fr. (68 fr. dès le 1er février).
Claude Béda
La Presse
Jeudi 4 décembre 1997
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Le Montreusien Pierre Knecht, directeur de publication de ce dictionnaire. (Photo Béda)
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