André Thibault et Pierre Knecht à qui l'on doit le nouveau Dictionnaire suisse romand (DSR), ont adopté une démarche résolument scientifique, donc aussi objective que possible. La francophonie, parfois si décriée, est ici un atout puisqu'elle permet de prendre du champ. Les particularités lexicales du français parlé ou écrit de Suisse romande ne sont pas décrites dans le DSR en se référant au français de France. Ce parti pris, qui allonge peut-être les définitions de chaque mot retenu mais leur donne une existence autonome, présente l'avantage de mieux expliquer les usages locaux: «les honneurs», dans ce contexte, ne peuvent être confondus avec les condoléances, et une «abbaye» n'est pas n'importe quelle fête de village.
Décrire les mots pour eux-mêmes, avec la fraîcheur de qui les découvrirait, montrer les nuances de leurs divers sens et leur fonctionnement syntaxique, c'est renvoyer aux choses que ces mots désignent. Cela est particulièrement vrai dans le cas de termes qui expriment des réalités spécifiquement helvétiques, trop souvent ignorées de nos voisins français. Avec ce dictionnaire-là, plus moyen de parler du fendant de Genève et des chalets de Lausanne! Du reste, un des sens de ce dernier terme est attesté en français du Québec: là aussi, le recours à l'horizon francophone est de nature à amener un peu d'air frais.
Dans le même temps où les lecteurs français du DSR pourront être amenés à modifier leur jugement sur certaines de nos expressions, les locuteurs suisses jetteront peut-être aussi grâce à lui un autre regard sur leur culture et leur identité. Dans l'un et l'autre cas, ce sera le fruit d'une réflexion personnelle. Car les auteurs du DSR n'entendent nullement porter un jugement de valeur sur les faits de langue qu'ils enregistrent: ils insistent, leur dictionnaire est purement descriptif, et non normatif. La police du vocabulaire, ce n'est pas leur affaire: tout au plus mentionnent-ils, ici ou là, que tel emploi est critiqué. On peut le regretter parfois, mais on peut aussi aimer cette liberté donnée en partage qui laisse à chacun la responsabilité de ses choix.
ISABELLE MARTIN
Journal de Genève et Gazette de Lausanne
Samedi 22, dimanche 23 novembre 1997